[Parution in Journal du Jeune Praticien n°347 du 1er octobre 1995]
Comment décider qu’une machine serait intelligente ? Vers 1940, le mathématicien anglais Alan Turing avait proposé un test rappelle Jean-Claude Weill (Pour la Science, n° 212 de juin 1995) : un programme serait qualifié d’ « intelligent » lorsqu’on ne pourrait plus distinguer, en dialoguant avec lui (par l’intermédiaire d’un clavier ou d’un téléphone), s’il s’agit d’un homme ou d’une machine. C’est le fameux test de la « chambre chinoise » : en parlant le chinois avec un interlocuteur caché dans une pièce, comment savoir quand on aurait vraiment affaire à un Chinois, ou plutôt à une machine intelligente maîtrisant cette langue difficile ?… Mais — demande J.C. Weill — ce test de Turing ne serait-il pas insuffisant ? Selon cette définition, une calculatrice est en effet « intelligente », car elle calcule juste. Mais ne peut être regardée comme les humains, du fait que la machine calcule paradoxalement trop juste : pour mieux s’approcher du comportement humain, ne devrait-elle pas au contraire se tromper de temps en temps ? Prétendument aléatoires, mais en fait délibérées, ces erreurs simuleraient ainsi des fautes d’étourderie, la fatigue, l’inattention, la désinvolture, la lenteur, la paresse… toutes « qualités » passant pour essentiellement humaines. D’où ce boomerang informatique : l’ultime perfection d’une machine intelligente pourrait alors résider dans son apparente imperfection !