Le père de l’Union économique et monétaire… Un homme d'Etat rigoureux qui savait que l'Europe doit se construire "pas à pas" en réconciliant les principes de De Gaulle, les idées de Monnet et les idéaux de Mendes-France
COMMENTAIRE RELATIO PAR DANIEL RIOT: Un « esprit carré dans un corps rond »: c'est ainsi que Raymond Barre a toujours aimé à se décrire. Il fut contempteur amusé et irrité du « microcosme », de ce petit monde politique parisien plus agité par la politicaillerie que par la Politique, avec un grand P. Jamais, même quand il a fait campagne pour les Présidentielles, il n'a cherché à séduire, à flatter, à caresser l’opinion et les médias dans le sens du poil. Il avait un souci constant : conserver son indépendance d'esprit au service d'une idée certaine de la France et d’une certaine idée de l’Europe.
Ce centriste, plus par raison que par tempérament, avait une nature gaullienne : sens de l’Etat, des responsabilités assumées, des réalités. Il avait aussi, par sa probité, un coté mendésiste. Et il était de la trempe d’un Jean Monnet, toujours soucieux d’allier « nécessité et idéal ».
Comme nombre de gens de ma génération, j’ai découvert Barre sur les bancs de la Fac. Que d’heures passées (mais non perdues) à lire, éplucher, étudier son « manuel » d’économie politique ! Professeur, il était d’abord. Professeur, il est resté. Un bon professeur, qui forme sans déformer.
Professeur, il l'est resté surtout quand il était le « Monsieur Economie » de la Commission de Bruxelles. Quel bonheur de l’écouter quand il intervenait devant un parlement européen qui à l’époque n’avait pas les pouvoirs qu’il détient aujourd’hui !
Ceux qui l’ont traité d’eurocrate ou de technocrate ne l’ont pas écouté : professeur, il était. D’économie ben sûr, mais aussi et surtout de réalisme, de lucidité, de vision. Un « honnête homme » cultivé, éclectique, curieux. Il dévorait (et relisait) Stendhal, Chateaubriand, l'anthologie poétique de Gide... et de bons polars. Cet amateur de musique adorait Mozart et ne cachait passa fascination pour quelques coins d’Europe, Venise notamment. C’est cette culture qui lui permettait d’échapper à ce qui guette le plus les politiques :la superficialité…
Il avait bien sûr, souvent, l’impression de parler dans le vide, de jouer les Cassandre, de se faire donneur de leçons à des gouvernements européens trop prisonniers de leurs vues à court terme, de leurs intérêts étroits, de leurs réflexes nationaux pour ne pas dire nationalistes.
Il voulait PLUS d’Europe, une Europe construite sur une volonté politique mise au service des desseins des « pères fondateurs ». Il appartenait à la classe des euro-déterminés, des euro-volontaires, par réalisme autant que par idéalisme. Car il savait que coincée entre les deux « grands », la petite Europe toujours prête à revenir à ses querelles villageoises laissait passer ses chances. Ou les gâchait.
Ce ne sont pas les « autres », les Américains notamment, qui sont trop forts, c’est nous qui sommes trop faibles…et qui ne voyons rien venir de ce qui risque d’advenir. Les crises de l’énergie, la coupure NORD-SUD plus chargée de périls, comme l’avaient dit Kennedy et Brandt, que la cassure Est-Ouest, l’importance de la recherche et de l’innovation, l’impérative nécessité de nous mettre à l’abri des tempêtes monétaires et de nous unir vraiment face aux défis du futur.
Nous sommes entre 1967 et 1972 : des années charnières, géopolitiquement complexes, économiquement difficiles. C’est lui qui tracera les grandes lignes de la future union économique et monétaire. Cette Union qui grandira sous Giscard, avec lui à Matignon, et qui devra attendre Mitterrand et Delors
Premier ministre, il ne sera jamais vraiment populaire. Il est vrai qu'il a dû se battre contre la mauvaise conjoncture économique (« c'est le Joffre du redressement économique », dira de lui VGE), la montée du chômage, un PS grandissant et un RPR menaçant. De cette époque-là, il gardera d'ailleurs une dent contre le mouvement gaulliste, qui ne l'a guère ménagé à l'Assemblée nationale entre 1976 et 1981…et après.
Ce « sourd qui a l'oreille fine », comme disait Edgar Faure, était selon ses propres dires un adepte de la « métaphysique de la tortue ». Il entretenait avec le temps, « une relation semblable à la manière dont il occupait l'espace avec son corps: posément, rondement, sûrement, agrémenté d'un soupçon d'éternité... ».
Un art de donner du temps au temps ? Une façon surtout de prendre en compte tous les freins qui font perdre du temps, précisément, à cette Europe si difficile à unifier. « L’Europe puissance » que VGE oppose à juste titre à « l’Europe espace », c’était l’un de ces buts. Et il était pressé de l’atteindre.
Mais les centristes français « mettaient leur drapeau européen dans leur poche », comme disait Pierre Pflimlin face aux coqs du RPR. C’est Mitterrand qui le sortira ce drapeau, avec Delors, et non sans mal…
Ce passionné d’histoire appartient désormais à l’Histoire. Comme son dernier livre (des entretiens avec Jean Bothorel, chez Fayard)…Son « Expérience du pouvoir » vaut relecture, y compris par ceux qui détiennent le pouvoir ou y aspirent…
L’Europe ? « Je suis conscient que le temps des adaptations n’est pas terminé (…), mais je suis confiant : Le mouvement est irréversible »… « Pas à pas », comme l’annonçait Schuman !
La France ? « La nation française est la plus facile à gouverner quand on ne la prend pas à rebours », disait Napoléon »…
C’est bien le problème !
« Il y a prodigieusement d’esprits en France, mais on manque de tête et de bon sens. Deux phrases nous enivrent. On nous mène avec des mots », disait Chateaubriand. Les Français résistent mal à la démagogie »
C’est vraiment tout fait le problème !
Bon repos, loin du « microcosme », Monsieur le Professeur
Daniel RIOT