Le P2P lending : un circuit dans lequel les banques devront s’inscrire afin de mieux répondre aux besoins des particuliers
1- Une étude du cabinet Gartner estimait à 10% la part des plateformes de social banking d’ici 2010, comment une part si conséquente pourrait être atteinte ?
Cette étude de Gartner UK de début 2008 prévoyait effectivement qu’une part de 10% du marché du conseil financier et du crédit serait détenue par les plateformes de P2P lending.
L’hypothèse forte de cette étude est que le modèle le P2P lending peut se comparer à celui des courtiers pour les crédits immobiliers. En France par exemple les courtiers font 15% des crédits immobiliers, contre 60% en Angleterre et 70% aux Etats-Unis. A partir de ces chiffres, Gartner parvient à estimer la part des plateformes de P2P Lending à 10%.
Des conclusions plus récentes de novembre 2008 prédisent aussi que des réseaux sociaux du type de Myspace ou Facebook fusionneront avec des réseaux sociaux financiers : du bon conseil à l’échange d’information, ces réseaux échangeront finalement aussi de l’argent. La contrainte à lever reste pour le moment la mise en place de moyens de transactions financières via ces sites.
2- Pensez-vous que ces conclusions concernant ces réseaux soient réalistes ?
Je le pense en effet car l’idée de faciliter les échanges d’argent dans le cas de petits montants semble bonne. Je pense par exemple que Twitter, qui est une sorte de chat public depuis un téléphone portable ou un ordinateur pourrait être utilisé comme réseau de transaction de fonds. Tout comme vous pouvez ajouter une note sur votre blog aujourd’hui, celui-ci vous permettrait de demander une somme d’argent à l’une de vos connaissances. Cette personne la transfèrerait via le site en indiquant une somme à verser et un destinataire.
3- Peut-on parler de concurrence avec les banques dans le cas des prêts entre particuliers ?
A court terme, je ne le pense pas non, ces prêts sont aujourd’hui des prêts qui existent mais non formalisés et en dehors du circuit des banques. Il faut rappeler que l’un des avantages des prêts entre particuliers est la désintermédiation : c’est l’absence des banques qui convainc les prêteurs et emprunteurs de s’engager.
S’il est difficile d’en estimer le volume, la proportion des prêts non formalisés sur l’ensemble des prêts bancaires peut être approximée à 2 milliards de production annuelle en France, à partir des chiffres connus aux Etats-Unis.
En revanche, à moyen terme, les plateformes de social banking peuvent prendre une part significative du marché de la distribution de crédit, comme le prévoit le Gartner.
4- Dans le contexte actuel de crise financière et économique ce circuit a-t-il encore toutes ses chances ?
Il me semble que la situation actuelle favorise justement ce type de prêts entre amis. La situation aux Etats-Unis est un peu particulière avec les problèmes de réglementation auxquels sont confrontés Prosper et Zopa US (voir article « Friendsclear : l’arrivée du prêt entre particuliers en France en pleine crise économique»). Le modèle de Friendsclear semble prometteur avec un peu plus de 1 500 personnes inscrites en janvier 2009 et 100 K€ financés, seulement quatre mois après sa création.
5- Pensez-vous que les banques puissent pénétrer ce marché de prêts entre particuliers ou bien même y être associées ?
L’absence des banques de ce type de circuit permet de ne pas y appliquer des taux trop importants. D’un point de vue marketing, les plateformes doivent éviter d’être associées à une banque : elles n’ont pas la même promesse. Cela n’exclut en rien de trouver des partenariats avec des banques afin de faire bénéficier aux plateformes les avantages d’une banque : gestion de flux financiers, éventuels systèmes de scoring des particuliers français…
6- Le mouvement de P2P Lending s’est lancé dans les pays développés, que se passera-t-il selon vous dans les pays émergents ?
De nombreux pays ont des circuits de prêts entre particuliers (en Europe, certains pays de l’Est ont déjà des plateformes en place) qui cherchent encore leur formule. Ce modèle pourrait être applicable par exemple dans les pays du Moyen Orient, qui présentent des montages intéressants et pourraient éventuellement être une cible en réunissant certaines conditions liées à la culture – prêt sans intérêt et bien tangible – mais sont encore en cours d’étude.
7- Le nouveau besoin client traduit dans le P2P Lending vient complexifier la demande. Ne souligne-t-il pas finalement le besoin peut-être pressant pour les banques de redéfinir leur rôle ?
Les banques aujourd’hui sont essentiellement tournées vers la distribution de crédit et de produits financiers, oubliant souvent leur rôle de conseil..
Ce n’est pas rare de voir aujourd’hui des personnes peu conscientes de leur état de surendettement continuer à demander des prêts. Les français ont globalement beaucoup de lacunes en connaissances économiques ou dans la gestion de leur budget. Pour contribuer à y remédier, les banques devraient redonner un sens à ce qu’elles font et se rediriger vers leur rôle premier de conseil au particulier. Certaines banques le font déjà. C’est le cas des Caisses d’Epargne qui ont des antennes « Finance et Pédagogie » dans chaque région et qui permettent aux clients en difficulté de recevoir de l’aide. Le Crédit Agricole a son réseau « Passerelle ».
Le problème actuel de la proposition commerciale du banquier est souvent son inadéquation au besoin du client, qui parfois relève plus du simple conseil à propos de la gestion de son budget familial, rarement mis en place, que du conseil de placement de fonds. C’est là le rôle premier d’une banque, et dans ce sens que les banques devraient investir.
PARCOURS
Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Jean-Christophe Capelli (43 ans) est un expert reconnu en matière d’internet et de services financiers innovants.
Conférencier régulier, reconnu pour son franc-parler, il prend également la parole sur son blog où il appelle depuis 2006 au renouveau des mécanismes financiers. Jean-Christophe est le dirigeant de FriendsClear, la 1ère plateforme de prêts entre particuliers en France qu’il a créée et lancée en octobre 2008. FriendsClear permet de se prêter de l’argent entre proches… sans passer par les banques. Jean-Christophe est également le co-fondateur du BarCampBank, un cercle de réflexion présent en Europe ainsi qu’aux Etats-Unis (la mission du BarCampBank est de contribuer à l’apparition d’innovations et de nouveaux business models dans le monde de la banque et de la finance).