Aide sanitaire en Afrique : changer de paradigme ?

Publié le 18 février 2009 par Unmondelibre

Philip Stevens le 19 février 2009 - Le groupe de pression Oxfam ne semble pas apprécier la tendance grandissante chez les donateurs d’aide à solliciter le secteur privé pour délivrer les soins de santé de manière efficace dans les régions les plus pauvres du monde. Selon son nouveau rapport intitulé « Un optimisme aveugle », les soins de santé dispensés par le secteur public y seraient plus efficaces, plus équitables et moins entachés de corruption que dans le secteur privé. Sans doute est-ce Oxfam qui est trop optimiste justement. En effet, en Afrique, les Etats sont en charge des soins de santé depuis l’indépendance et, en dépit de flots d’aide depuis un demi-siècle, la qualité est toujours abominable.

Le système actuel dans lequel des Etats riches versent des fonds importants à des Etats pauvres dans l’espoir que ces derniers dépensent cet argent en fourniture de soins de santé (plutôt qu’en limousines ou en armes) a fait son temps. L’aide dédiée à la santé est passée de 2,5 milliards de dollars en 2000 à 14 milliards en 2006. Dans 12 pays de l’Afrique sub-saharienne, plus de 30% des dépenses de santé sont financées par l’aide.

En dépit de cette aide, les hôpitaux et les cliniques sont délabrés, les équipes médicales sont démoralisées et près de 60% des africains doivent payer eux-mêmes leurs soins de santé. La majorité des pays africains ne sont pas susceptibles d’atteindre les Objectifs du Millénaire en matière de santé. Et nombreux sont ceux qui reculent.

Comme l’a bien formulé le Professeur William Easterly, ancien chercheur à la Banque Mondiale dans son dernier ouvrage (The White Man’s Burden) : « Le Statu quo – c’est à dire d’importantes bureaucraties internationales distribuant de l’aide à d’importantes bureaucraties d’Etat – ne donne pas d’argent aux pauvres ». S’il y a donc bien quelque chose qui tienne de l’optimisme aveugle, c’est bien le modèle actuel de l’aide

Cette remarque d’Easterly est particulièrement vraie en matière de santé. Les soins de santé de qualité reposent sur un personnel spécialisé, des technologies sophistiquées et une bonne logistique. Même un pays riche comme l’Angleterre ne parvient pas à gérer des services publics de santé de manière efficace. En même temps, la plupart des ministères africains de la santé se battent pour que leur personnel ait assez de PC.

Une fois l’argent du donateur arrivé, les ministères de la santé ont des problèmes très basiques. Selon l’OMS, la plupart des ministères ne disposent même pas des données les plus élémentaires sur la manière dont est dépensé cet argent, rendant ainsi toute gestion impossible.

Cet état de fait génère la corruption, des malversations des ministères jusqu’aux dirigeants qui revendent des médicaments donnés et supposés gratuits. En décembre la revue médicale The Lancet rapportait comment des douzaines de pays les moins avancés ont menti à propos de leurs taux de vaccination pour attirer plus de fonds de l’ONU. Les enfants ne recevaient pas de vaccination mais quelqu’un s’enrichissait quelque part.

Une étude de Maureen Lewis de la Banque Mondiale démontre comment la corruption dans le secteur de la santé des pays en développement est si dramatique qu’elle a sapé l’efficacité de l’aide.

Pour le moment, les Etats riches se sont engagés à conserver les robinets de l’aide ouverts, mais la crise financière pourrait signifier qu’il est peu probable que l’aide se maintienne à ces niveaux. Nous devons donc repenser complètement la manière dont cet argent est dépensé si nous espérons aider des millions de gens à améliorer leur sort.

Selon les chiffres de la Banque Mondiale et de l’International Finance Corporation, entre un tiers et la moitié des 16,7 milliards de dollars dépensés en soins de santé en Afrique subsaharienne en 2005 ont été dépensés dans le secteur privé, très souvent par les populations les plus pauvres qui n’ont pas accès aux services de l’Etat. Cette énorme capacité est ignorée par les donateurs, qui pour des raisons idéologiques préfèrent travailler directement avec les Etats.

Les donateurs devraient comprendre la portée cette capacité massive, offrant des contrats concurrentiels pour les soins de santé. Les associations à but non lucratif et les fondations, l’Etat et le secteur privé marchand devraient être en concurrence. Cet aiguillon concurrentiel générerait une incitation puissante à améliorer les standards – comme cela a été le cas dans d’autres secteurs vitaux, des vêtements à la nourriture.

Ce processus s’est déjà mis en place au Cambodge, où les ONG se font concurrence depuis 1999 pour fournir des services de santé aux pauvres des campagnes. La couverture des personnes prises en charge ainsi que les standards médicaux ont été améliorés si rapidement que l’Etat a étendu le programme de sorte qu’un cambodgien sur 10 en profite. En 2005 la revue The Lancet comparait dix programmes différents de contrats autour du monde et trouvait que la majorité était plus performante que l’Etat en matière de coût, de qualité et de couverture, estimant que « les améliorations peuvent être rapides » dans des pays aussi divers que le Bangladesh, le Guatemala, Haïti, l’Inde, la Bolivie, Madagascar et le Sénégal.

Nous traversons des temps d’incertitude financière. Il ne sera désormais plus possible pour les pays les plus riches de déverser des montants toujours plus importants d’argent vers des ministères de la santé dysfonctionnels de pays en voie de développement, dans l’espoir qu’une partie de ces sommes finissent dans des cliniques ou des salles d’opération de campagne. On peut donc mettre en doute l’idéologie d’Oxfam et se concentrer sur ce qui marche.

Philip Stevens est analyste politique à l’International Policy Network, un think tank basé à Londres.