Margalida Capellà / 18 février 2009 / Info-palestine
Palestina Libre
Beaucoup furent surpris par le fait que l'Audience nationale espagnole ait accepté de prendre en charge le cas d'une plainte criminelle contre sept Israéliens pour crime de guerre sur la Bande de Gaza pendant l'opération « d'assassinat sélectif » qui causa la mort de quatorze civils, en plus de celle du présumé terroriste. Cependant, ce qui serait plus normal serait que ce soit un tribunal israélien qui juge ces Israéliens et non pas un tribunal espagnol, faute d'un tribunal palestinien doté d'une juridiction pénale concernant ces faits, mais cette inactivité de la justice israélienne ne semble pas franchement déranger l'opinion publique.
C'est comme si le juge espagnol avait accepté de traiter la plainte par caprice ou bien même pour des raisons politiques, selon ce qu'on pourrait déduire des déclarations des autorités politiques et militaires d'Israël ; mais la réalité est toute autre.
Il est fondamental de comprendre les causes de la plainte ainsi que le sens de la juridiction universelle afin de contrecarrer une bataille médiatique qui pourrait arriver à influencer le climat politique et diplomatique jusqu'à mener à l'élimination du mécanisme de la juridiction universelle de l'ordre juridique espagnol, comme cela s'est déjà produit dans d'autres pays tels que la Belgique ou l'Allemagne.
Pour ce, voici les trois clés du processus : la responsabilité pénale internationale des individus pour crimes de guerre, l'obligation des Etats d'établir des enquêtes et de poursuivre les violations du droit international humanitaire et finalement, la nécessité de rester dans le cadre de la juridiction universelle lorsque les mécanismes pénaux nationaux et internationaux échouent face à cela.
L'objet de la plainte est de déterminer la responsabilité pénale pour des faits constitutifs de crimes de guerre, et non pas celle de l'Etat.
La plainte ne vise pas l'Etat d'Israël ni ne juge son droit d'exister, pas plus que son droit à la légitime défense. On ne sollicite même pas une responsabilité subsidiaire du Gouvernement israélien, puisque l'Etat ne fait pas partie du procédé bien qu'il en donne souvent l'impression. Ce qu'il prétend c'est déterminer une responsabilité pénale pour une attaque militaire avec comme conséquence 15 homicides de personnes civiles en juillet 2002 (et non pour les attaques des derniers mois de décembre et janvier) et pour cela la plainte s'adresse à quelques individus qui ont enfreint le droit international humanitaire avec présomption.
Dans tout conflit armé, les membres des forces armées doivent agir en conformité avec quelques règles établies au niveau international de même que dans les codes militaires nationaux, et le droit israélien ne fait pas exception. Les soldats et leurs commandants supérieurs ont une série d'obligations et parmi elles les plus basiques consistent à protéger la population civile et respecter le principe de proportionnalité. Ils ont également des droits, évidemment, et celui de refuser d'exécuter les ordres contraires au droit de l'homme est un des plus importants. C'est ce droit que font valoir les « refuseniks » israéliens : les soldats et
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réservistes qui refusent de participer aux opérations militaires dans les territoires occupés ou d'exécuter des actions illégales qu'ils dénoncent, de plus, comme des crimes de guerre commis par l'armée israélienne.
Les faits relatés dans la plainte présentent des indices clairs de criminalité : avec le but de commettre l'assassinat du membre présumé du Hamas, les forces armées israéliennes, en connaissance des conséquences qu'une telle action pourrait entraîner, décida de lancer un engin explosif de grande puissance dans une zone densément peuplée, produisant en plus de la mort de cet individu, celle de quatorze autres personnes, et causant des blessures plus ou moins graves chez cent cinquante citoyens palestiniens, dont des enfants et nourrissons.
L'opération s'attribue à toute la chaîne de commandement, arrivant jusqu'au Ministre de la Défense d'Israël au moment où les faits dénoncés furent commis.
L'Audience Nationale espagnole intervient car les tribunaux israéliens n'ont ni enquêté ni poursuivi ces faits.
Les violations du droit international humanitaire doivent être poursuivies et enquêtées par les Etats, spécialement par les Etats faisant parties des accords de Genève de 1949 quelle que soit leur nationalité. Depuis 1950, Israël fait partie des Accords IV, applicables à la protection de la population civile, mais n'enquête ni ne poursuit les faits dénoncés devant les tribunaux militaires et pénaux israéliens, dans certains cas par ces mêmes « refuseniks ».
Ces derniers ont eu recours à la justice britannique et néo-zélandaise, et sont déjà parvenus à faire accepter certains cas, avec les mandats d'arrêt internationaux conséquents causant plus d'une gêne chez les accusés et chez le gouvernement israélien.
Lorsque les Tribunaux d'Etat échouent avec leur juridiction sur les infractions du droit humanitaire, les Tribunaux des autres Etats (juridiction universelle) peuvent agir, puisque tous les Etats sont obligés de respecter et de faire respecter les Accords : pour ce, la juridiction universelle peut être un mécanisme approprié, bien que pour éviter les conflits diplomatiques, le plus approprié serait que la Cour Pénale Internationale ait compétence sur ces faits.
Cependant, Israël ne fait pas partie du Statut de la Cour Pénale Internationale et les crimes de guerre (infractions graves du droit humanitaire) perpétrés dans son territoire ou par ses nationaux sont demeurés jusqu'alors dans l'impunité absolue. Dans ce contexte, l'armée de la juridiction universelle est actuellement le dernier recours qui reste pour ceux qui ne se résignent pas à l'usage de la force discriminée et disproportionnée contre la population civile comme méthode de guerre, ni bien sûr, comme stratégie pour parvenir à la paix.
En Espagne, l'article 23.4 de la Loi Organique du Pouvoir Judiciaire donne la faculté aux tribunaux espagnols de connaître les crimes déterminés commis en dehors du territoire espagnol et la jurisprudence du Tribunal Constitutionnel a affirmé qu'aucun lien de nationalité espagnole des victimes n'était nécessaire. La seule limite à l'exercice de cette juridiction universelle est celle de la chose jugée et, après acceptation de la plainte, les autorités israéliennes doivent prouver que les faits de la plainte font l'objet d'une enquête afin de suspendre l'instruction du cas, sept ans après l'attaque.
Israël et la juridiction universelle
En 1961, le citoyen allemand Adolf Eichmann fut condamné à mort et après avoir été pendu en Israël pour crimes contre l'humanité commis en Allemagne, après avoir été séquestré par les services secrets israéliens en Argentine, où il se réfugia depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Ce jugement se basa sur la Loi pour le châtiment des Nazis et les collaborateurs, adoptée en 1950 pour la persécution et la sanction des crimes contre le peuple juif, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, qui est toujours en vigueur et qui a servi pour l'extradition des criminels nazis présumés vers Israël afin qu'ils soient jugés.
La sentence du Tribunal du District de Jérusalem est une référence internationale à l'heure d'affirmer la juridiction universelle pour la répression des crimes contre l'humanité, basée sur le droit de chaque Etat d'exercer en dehors de son territoire sa juridiction afin d'éviter que ces crimes demeurent impunis. Israël avait tellement envie de juger des crimes d'horreur contre l'Humanité qu'elle fut précurseur d'une juridiction qu'elle renie à présent.
Aussi vaut-il la peine de retenir quelques phrases de cette sentence, maintenant qu'Israël remet tellement en question l'acceptation d'une plainte par l'Audience Nationale espagnole contre des citoyens israéliens pour crimes de guerre et contre l'humanité.
« Les horribles crimes définis dans cette Loi (souligne le tribunal) sont des crimes pas seulement selon le Droit israélien. Ces crimes qui offensent l'ensemble de l'humanité et émeuvent la conscience des nations sont de graves attentats contre le Droit international. Faute d'un tribunal international, le Droit international a besoin des autorités judiciaires et législatives de chaque pays afin de rendre ses normes pénales effectives et d'amener les criminels au jugement. La juridiction reconnue pour ces crimes de droit international est universelle ».
En rappelant ces faits, on ne prétend pas comparer les crimes d'Eichmann à ceux que l'on reproche aujourd'hui à ses citoyens israéliens, parce qu'ils sont incomparables : il n'y a pas des crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre plus graves que d'autres, tous sont des attaques contre la population civile, qui doit être protégée aussi bien en temps de paix qu'en temps de guerre, spécialement la population des territoires occupés. La déportation de milliers de personnes est autant un crime contre l'humanité qu'un homicide volontaire contre une douzaine. La peine pourrait varier, mais pas la qualification et, dans tous les cas c'est à un juge de déterminer l'une comme l'autre.
Finalement, il convient de répondre à quelques questions que posent ces jours-ci les dirigeants israéliens et qui, étonnamment, semblent provoquer chez certains un doute au moment de féliciter l'Audience Nationale pour avoir accepter la plainte par accomplissement des obligations contractées par l'Espagne pour lutter contre l'impunité pour infractions graves du droit humanitaire : les terroristes du Hamas s'entourent d'otages et de boucliers humains, que feriez-vous si vous vouliez les tuer ? Bien sûr, nous ne tuerions ni les otages ni les boucliers humains et nous tenterions de réduire au maximum ceux qui les retiennent par la force ou même par consentement.
Comment se peut-il qu'on prétende juger des militaires qui veillent à la sécurité des Israéliens et non pas les terroristes qui nous attaquent ? Israël ne juge pas les terroristes, qui ne le sont jamais « par présomption » : elle les tue simplement avant par des « attaques létales sélectives » qui sont une atteinte non seulement au droit humanitaire mais aussi au principe plus basique du droit : celui de la présomption d'innocence, un droit humain qui appartient également à ceux que l'on soupçonne d'actes de terrorisme.
Dans un présumé Etat de droit, comme l'Etat israélien, où même les enfants palestiniens ne sont pas considérés comme des victimes innocentes, le processus normal d'arrêter et de juger un présumé terroriste n'existe pas : premièrement on le tue, ensuite les commandants militaires se demandent s'ils ont bien évalué la puissance de la bombe ou si l'information qu'ils avaient sur le domicile à détruire était exacte. Il n'y a pas de règlement de compte, il n'y a pas de justice. C'est pourquoi la juridiction universelle existe.
La transcription de la sentence du Tribunal Suprême d'Israël est disponible dans The Nizkor Project.
* Margalida Capellà est Professeur de droit international public à l'Université des Iles Baléares.
9 février 2009 - Palestine Libre - Vous pouvez consulter cet article ici :
http://www.palestinalibre.org/artic...
Première publication à :
http://www.nodo50.org/csca/agenda09...
Traduction de l'espagnol : Assia B.