Philippe Barraud, un de mes voisins de blogue, a été récemment décrit par Erik Reumann de La Liberté comme «un conservateur éclairé sans famille politique». Malgré le fait que la ligne politique de M. Barraud – on peut avoir une ligne et pas de famille – soit très éloignée de la mienne, ses écrits m’incitaient jusqu’à aujourd’hui à adhérer à cette définition. Depuis hier, je doute que l’usage d’«éclairé» et de «sans famille politique» soit toujours pertinent.
Il est en tout cas un écrit dans lequel M. Barraud n’est pas très politiquement indépendant. Un écrit qui l’engage d’ores et déjà en faveur d’une future initiative visant à durcir le Code pénal des mineurs qui pourtant est tout récent et vient d’être durci. Une initiative typique de l’UDC sous forme de réaction à l’emporte-pièce faisant suite au jugement du drame de Clarens que d’aucuns trouvent trop clément pour les mineurs au moment des faits.
Pour soutenir sa thèse, M. Barraud s’appuie sur un article de 24 Heures qui relate l’agression d’une maman, venue chercher son fils à l’école, par un jeune d’une quinzaine d’années. Une agression violente qui se soldera, selon le journal par «un œil au beurre noir, des microfissures au niveau des cervicales et une semaine d’arrêt de travail.» Une agression qui relève de la justice pénale, que l’on soit mineur ou non. Et un «fait divers» qui conduit M. Barraud à glisser dans l’approximation et la caricature pour justifier son parti pris : il faut absolument durcir le code pénal des mineurs afin que «les mineurs criminels ne soient plus traités comme des bébés innocents.»
S’il est évidemment inadmissible qu’un jeune ou un moins jeune, parlant ou non une langue étrangère – qui ressemblait à du serbo-croate selon la maman dans 24 Heures et qui est du serbo-croate selon l’approximatif Barraud – se fasse violenter de la sorte, il est tout aussi inadmissible qu’un journaliste sérieux se permette des affirmations pour le moins fantaisistes pour défendre une thèse qui lui tient à cœur. C’est une question de respect pour la victime, pour le système judiciaire et pour la société. Aucun n’est à prendre à la légère.
Non M. Barraud, l’auteur de cette agression ne risque pas «qu’une admonestation du juge, étant mineur». Non M. Barraud, la justice des mineurs n’est pas un jeu de société dans lequel les délinquants - pourquoi les désigner par ce terme tellement néo-conformiste de «racaille» ? -, ne risquent que des gages. Non M. Barraud, la dame agressée a vécu quelque chose qui ne vaut pas qu’une simple admonestation et la justice y a pensé.
Si avant d’écrire votre articulet vous aviez pris la peine de vous renseigner, vous auriez appris que le traitement infligé par l’adolescent à la maman tel que décrit par la presse porte un nom en droit. Il s’agit de lésions corporelles simples qui constituent un délit. Ce cas de figure est réglé par l’article 25 du Droit pénal des mineurs (DPMin) qui précise en son premier alinéa : «Est passible d’une privation de liberté d’un jour à un an le mineur qui a commis un crime ou un délit s’il avait quinze ans le jour où il l’a commis.»
Un an de privation de liberté, c’est un peu plus «qu’une simple admonestation», que l’on appelle, soit dit en passant, «réprimande» en langage juridique.
Certes, il peut y avoir des conversions de peine. Certes, il peut y avoir une exemption. Mais tout cela, ni vous ni moi ne sommes capables d’en décider. Ce n’est pas notre métier et de toute manière l’enquête est encore en cours.
Par contre, ce qui est de notre ressort, c’est de ne pas véhiculer des fausses informations, même et surtout pour justifier une position politique. En prenant le parti de faire croire que le Droit pénal des mineurs est laxiste, vous dénigrez la justice, la victime et la société et vous contribuez à provoquer des réactions susceptibles de déclencher d’autres «faits divers» comme en témoigne ce commentaire au bas de votre article : «Armons-nous, pratiquons le close-combat et surtout, ne baissons pas le regard devant eux.»
Pour toutes ces raisons, et au moins une fois dans votre vie, vous aurez été peu éclairé et peut-être même dangereux M. Barraud.
- Crédit image : dessin emprunté pour la bonne cause à Lindingre.