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L'après

Publié le 17 février 2009 par Menear
Une semaine que le vent a coupé latéral la vie de ceux qui s'y sont trouvés plongés. Les cadavres brûlés au coin des rues, les cérémonies on les fait collectives, les derniers sacrements tiennent en trois phrases et la torche humaine, somme de tous les combustibles enchevêtrés, s'embrase. On passe au suivant. On partage le feu, le porte au prochain carrefour. Les charniers s'érigent verticaux et tombent, les cendres dispersées au petit matin par le vent recomposé sans risque.
Les rues n'ont pas été dégagées encore, les voitures ne roulent plus. Les carcasses ont été soufflé jusque sur les vitrines des magasins sélects, les pneus ont roulé jusque dans la Seine. Les eaux se sont retirées, le sol a bu les excès de l'asphalte, quelques jours ont suffi. La couleur des murs brunis jusqu'au troisième étage des immeubles témoigne de la crue passée, la pierre rongée par les vagues trainantes. Les algues ont été raclées depuis le lit du fleuve jusqu'aux pieds des bâtiments. Parfois le pied du passant s'égare et l'eau gardée grise dans les fibres se répand, les odeurs qui s'échappent son nauséabondes, personne n'y prête attention.
Les portes des immeubles sont toutes enfoncées ouvertes dans l'entrée, on les piétine pour rejoindre les halls, des béliers de fortune ont été projetés contre le bois, le verre, pour déverrouiller sésame et digicode retenus magnétiques entre les murs. Les clés ont tourné dans les serrures, se sont brisées entre leurs dents. Le bois a cédé facilement, ils cèdent tous, l'eau a rongé la matière, le vent a forcé sur les gonds.
Au bas de la rue aux Ours, le cortège des rongés s'écrasent, un pavé après l'autre. Le vent les a frappé fort, suffisamment pour qu'ils aient laissé sur place leurs articulations défaites, le vent les a traversé trop vite pour leur souffler la vie. Leurs genoux sont brisés, les chevilles se délitent sous leurs pas. Pour avancer ils s'agrippent les uns aux autres et se pressent ensemble dans leurs soupirs mêlés à chaque effort tenu. Leurs chaussures, les semelles sont emportées, la gomme raclée sur le bitume, on voit l'empreinte des pieds, la crasse sous la plante. Leurs jambes elles se balancent droite puis gauche, l'effort concentré pour tenir debout est considérable : les muscles tendus fermes pour maintenir l'équilibre et les organes serrés dedans pour qu'ils ne rompent pas pendant la marche. Le cortège des rongés s'écrase sous l'ancien chapiteau des Halles, leurs chairs se frôlent tellement qu'elles se confondent, il n'y a plus de pudeur entre eux, peu à peu leurs corps se forgent une entité commune ; ils ont perdu leurs noms, ils sont ceux de la rue aux Ours.
Dehors les rues silencieuses, artères brunes bouchées où plus aucune lèvre ne force la parole éparpillée. Les premières rumeurs urbaines circulent. Les peaux ont reçu tout contre elles les éclats du vent meurtrier, les gorges ont retenu en elles les saveurs de leurs brises ; la chair humaine est contaminée par le mal ; le souffle, les poumons, l'haleine servent de vecteur de propagation des miasmes. Le silence est gardé, principe de précaution disent-ils, ou ne le disent-ils pas, ils l'écrivent, le miment, le pensent, le taisent. Les contacts entre les corps, selon la loi tacite qui s'applique à chacun, sont prohibés. Le corps est source de maux potentiellement désafférents, le mal est en chacun de ceux qui s'y trouvent, s'y sont trouvés, étaient présent lorsque.

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