Yann Arthus Bertrand explique son projet : "Nous vivons une période incroyable. Tout va à une vitesse folle. J'ai soixante ans, et quand je pense à la façon dont vivaient mes parents, ça me
sidère. Nous avons aujourd'hui à notre disposition des outils de communication extraordinaires : nous pouvons tout voir et tout savoir, et la masse d'information en circulation n'a jamais été
aussi grande. Tout cela est très positif. Pourtant (et c'est là qu'est l'ironie) nous connaissons toujours aussi peu nos voisins. Aujourd'hui cependant la seule démarche possible, c'est d'aller
vers l'autre. Le comprendre. Car dans tous les combats à venir, que ce soit la pauvreté ou les changements climatiques, on ne pourra plus agir seuls. Le temps est révolu où l'on pouvait se
permettre de ne penser qu'à soi, qu'à sa communauté restreinte. Désormais, il nous est impossible d'ignorer tout ce qui nous lie et les responsabilités que cela suppose".
C'est pourquoi, à travers 75 pays, pendant près de 5 ans, 6 reporters dont les réalisateurs Sibylle d'Orgeval et Baptiste Rouget-Luchaire, ont rencontré 5000 personnes et les ont
interviewées dans 43 langues différentes sur la liberté, le bonheur, l'amour, la famille, la foi.... quelle place une Russe, un Malien, Une Américaine, un Chinois, ou encore une Française
donnent-ils à ces valeurs universelles ? Ce projet a donné lieu à une exposition au Grand Palais à Paris, à plus de 20 heures de film (30 films) et aussi à un livre présentant 500
portraits à travers le monde (aux éditions de la Martinière), dont voici quelques extraits :
Question : "Que représente la famille pour vous ?"
Laya, vit au Mali : La famille ici représente tout pour nous. La
famille, c'est l'union des personnes nées de même père, de même mère, de la même lignée, du même sang. La famille élargie, c'est la grand-mère, le grand-père, l'oncle, la tante, les neveux, ici
c'est que nous vivons. La famille c'est l'union, la solidarité, le respect entre nous ; on se complète. C'est ça la famille ici. Voilà pourquoi nous sommes jusqu'à présent attachés à rester en
famille unie, mais je vois peu à peu venir la désunion de la famille, parce que chacun tend à s'en détacher pour former une famille nucléaire : le mari, sa femme et leurs
enfants.
Vladimir, vit à Moscou, Russie : La famille, c'est cet endroit, ce petit nid d'amour où tu viens pour te reposer. L'homme est
créé pour développer son amour envers l'autre. La famille est le premier champ d'essai. Il n'est pas intéressant de vivre seulement pour soi, c'est comme être une ampoule noire qui n'éclaire
personne.
Penelope, vit en Australie : La famille a la capacité de vous influencer très profondément, très tôt, et de façon
irréversible, de façon positive et négative. Elle a une influence sur vous dans le bon et dans le mauvais sens. Quand mon père a quitté ma mère j'étais adolescente, et il a reporté la faute sur
moi. Il m'a blessée pour le restant de mes jours. Je ne m'en suis jamais remise. Ma mère s'est écroulée et elle en est morte. Mais je n'oublierai jamais ce que mon père m'a dit, le jour où il m'a
annoncé son départ : que c'était ma faute. C'est pour cela que je pense que la famille a la capacité de vous faire du bien, mais elle peut aussi vous faire du mal de façon irréversible, car ce
mal vient de quelqu'un que vous aimez ; même si vous ne l'appréciez pas, vous l'aimez, et ses paroles peuvent alors être profondément blessantes.
Elisabeth, vit en Antarctique : Pour moi la famille ça ne signifie pas grand chose. J'ai une famille inhabituelle : je suis une enfant unique et je n'ai
moi-même pas d'enfant. Mon mari est également fils unique et n'a pas d'enfant non plus. En fait, ce n'est pas si important, parce que mes amis sont ma famille.
Question : qu'est-ce que l'amour signifie pour vous ?
Sofien, vit en France : Je ne suis jamais tombé amoureux, je vous assure, je ne suis jamais tombé amoureux. Peut-être quand j'étais jeune, mais depuis mes "trucs carcéraux", vous savez, je ne restais dehors que par intervalles de trois mois... Pour construire une relation, c'est compliqué. Ca fait que l'amour ... je ne connais pas l'amour. Tout ce que je sais de l'amour, c'est que ça fait très mal. C'est cool mais qu'est-ce que ça fait souffrir ! Je vois mes copains, qu'est-ce qu'ils en font ? D'un côté ce n'est pas plus mal parce que être en prison et laisser la femme que tu aimes dehors, c'est se poser des questions... Se poser des questions sur elle à chaque moment, c'est un souci de plus, c'est plein de questions en plus. Vive le célibat !
Pandiammal, vit au Tamil Nadu, Inde : Je n'ai écouté ni mon père ni ma mère, je me suis mariée par amour, de
mon plein gré. Si je m'étais mariée selon leurs souhaits, ils nous aideraient. Et en ce qui concerne mes beaux-parents, il projetaient de trouver un bon parti pour leur fils. "Mais pourquoi
s'est-il marié avec elle ?" disent-ils, et ils ne s'en remettent toujours pas. De mon côté, mes parents ne s'en remettent pas non plus.
Jean de
Dieu, vit à Madagascar : Pour montrer mon amour à ma femme, tout d'abord je lui souris. Je dois la faire sourire aussi, et quand je la vois sourire, c'est qu'il y a déjà la paix en
elle, alors là je suis convaincu qu'il y a de la joie. Quand elle sourit, c'est preuve de la joie.
Hajime, vit au Japon : Ca fait dix
ans que nous sommes mariés, donc nous ne nous donnons plus la main, mais mon amour est de plus en plus fort, de jour en jour. Au Japon, on ne dit pas oralement "je t'aime", mais j'aime, ça veut
dire que si on me dit de mourir pour ma femme et mes enfants, je peux probablement mourir, et je pense que c'est ça aimer quelqu'un.
Question : Qu'est-ce que le bonheur ? Etes-vous heureux ?
Darryl, vit à la Nouvelle-Orléans, Etats-Unis : Quand mon fils est né, j'étais dans la salle d'accouchement.
J'étais à la fois nerveux et effrayé. J'avais à peine vingt ans.Quand j'ai vu la tête sortir, puis j'ai vu les épaules sortir, je ne pouvais plus rien faire. Je souriais, je riais, et j'ai vu son
visage, même s'il était tout recouvert... J'ai vu en lui un petit peu de moi. Ca m'a fait rire parce que c'est ce que mon père avait vu, il était là quand je suis né. Je ressemble à mon père et
mon fils me ressemble. Ca m'a rendu très très heureux.
Mario, vit à Buenos Aires, Argentine : J'ai eu plusieurs moments de bonheur.
Etre à côté d'une montagne m'inspire plein de bonheur. C'est comme un contact avec l'infini, avec l'énormité de la nature et du monde. Un échange de regards avec ma femme est aussi un moment
d'immense bonheur. Lorsque ta femme n'est pas seulement ta femme, mais qu'elle est aussi ton amie, et que votre dialogue marche bien, ce sont des moments de bonheur. Et même dans la douleur,
quand il y a eu des décès dans la famille, quand il y a eu des maladies graves, ce regard c'est, c'était et (j'espère) continuera d'être un moment de grand bonheur.
Saideh, vit en Iran : La première fois qu'on devient mère. Et spécialement quand l'enfant bouge dans le ventre. J'avais un sentiment étrange qu'un autre
être vivait à l'intérieur de moi, ces sensations-là ont créé du bonheur en moi.
Buddhi Maya, vit au Népal : Quand j'étais malade et que je ne pouvais pas travailler, mes beaux-parents me
détestaient, j'ai alors demandé à mon mari de se remarier avec une autre femme pour qu'elle puisse travailler dans la maison, mais il m'a dit : "Ecoute-moi, tu es venue dans ma maison en quittant
ta famille ; comment pourrais-je épouser une autre femme ? Je t'aime tellement !" Peu de temps après, j'ai eu un fils. C'était le moment le plus heureux de ma vie.
D'après votre expérience, qu'est-ce que la guerre ?
Nura, vit en Bosnie-Herzégovine : Toutes les conséquences de la guerre sont restées en moi. J'ai compris qu'en
vingt-quatre heures, tout peut changer et que les esprits fous, les criminels, les dictateurs peuvent faire tout ce qu'ils veulent. C'est ce que j'ai appris avec la guerre. Et je ne crois plus à
l'impossible. Car il est possible de tout faire en ce monde. C'est la leçon de cette guerre. Jusqu'à la guerre, la vie était tellement belle ! On était au XXe siècle, on vivait bien et je ne
pouvais pas imaginer que de telles choses puissent arriver et que l'on puisse basculer dans un temps presque préhistorique, où la vie de l'homme ne vaut rien, où elle n'a plus aucune
valeur.
Aghsam, vit dans les territoires palestiniens : La guerre, c'est la sauvagerie. C'est la haine qui créé la peur, toutes les
choses mauvaises sont dans la guerre. Tout ce qui est bon disparaît, l'enfance s'en va, l'innocence s'en va, la beauté s'estompe. Et tout ce qui est bon en l'homme se réduit pour laisser le mal
grandir en lui. L'homme bien se transforme en quelqu'un de mauvais, l'homme qui aime se met à haïr. La geurre éduque les hommes en criminels et en bourreaux.
Yehuda, vit en Israël : Je réfléchis sur ce que j'ai fait quand j'étais soldat. Nous étions 600.000 juifs en Israël, face à l'invasion de cinq pays
arabes. Nous avions la gâchette facile, cela ne veut pas dire que nous mettions des gens devant un mur et que nous les abattions, mais parfois on tirait alors qu'il n'était pas nécessaire de
tirer. Aujourd'hui je me réveille la nuit avec ce champ de bataille. Ca me tourmente réellement : est-ce que je devais appuyer sur la gâchette ou non ?
Rick, vit à Los Angeles, Etats-Unis : Mon père manque vraiment d'assurance, il essaie donc de paraître plus
fort qu'il est, et il veut que je prétende être physiquement très fort. Quand je parle de mon expérience en Irak, quand je raconte que je devais "prendre soin" de certaines personnes, et que j'en
tombais malade, mon père me dit toujours : "N'en parle à personne, ils n'ont pas besoin d'entendre ça ! Ils ont besoin d'entendre qu'un soldat est fort, qu'il est toujours grand, qu'il protège
tout le monde. Ils ne veulent pas entendre les émotions, les pleurs, ou quoi que ce soit de ce genre !".
Denis, vit au Rwanda : Moi je
n'en reviens pas du tout parce que durant toute mon enfance, mon adolescence, mon âge adulte, j'ai vu que les Rwandais cohabitaient dans la symbiose. Alors je ne sais d'où est venu le démon qui a
semé la haine. Connaissant les Rwandais d'auparavant, je ne parviens pas à m'expliquer le génocide qui a exterminé des gens innocents.
Question : que représente la nature pour vous ?
Sovichea, vit au Cambodge : Avant il y avait quatre saisons : la
saison des pluies, la saison sèche, la saison du vent frais et le printemps, comme dans les autres pays. Autrefois, la saison des pluies commençait début avril ou début mai, maintenant elle
commence mi-mai ou fin mai et parfois il n'y a pas de pluie jusqu'en juillet. Et pendant la saison sèche, il fait maintenant trop chaud. Avant il faisait entre 33 et 35 °C, aujourd'hui les
températures montent jusqu'à 40-42 °C à Phnom Penh. Et pendant la saison du vent frais il fait trop froid, le thermomètre peut descendre jusqu'à - 17 ° à Phnom Penh.
Jorge, vit au Brésil : Quand on essaie de détruire l'Amazonie et l'air qu'on respire, ainsi que l'eau qu'on boit, c'est une atteinte à notre liberté, on
s'attaque à nous-mêmes. En s'attaquant à la nature, on s'attaque à nous-mêmes.
Pedro Luis, vit à Cuba : La nature, j'en ai entendu
parler, mais je n'ai pas eu l'opportunité de m'y intéresser. Vu comment on vit à Cuba, on n'a pas le temps de penser à la nature. Tu n'as pas le temps de réaliser que tu es en train de jeter une
boîte de conserve par terre, tu n'as pas le temps de réfléchir au fait qu'il ne faut pas jeter les ordures ailleurs que dans la poubelle. Les Cubains n'ont pas le temps de planter un arbre, ni
même un arbuste, ils n'ont pas le temps. Ils prient pour qu'il pleuve, pour subsister, pour que les arbres poussent, pour qu'il y ait de quoi manger, pour qu'il y ait des fruits, tout ça, pour
que les buissons soient jolis, mais ils ne se soucient pas d'agir par eux-mêmes. Il est très rare de voir quelqu'un prendre un arrosoir et arroser. Les Cubains ne font rien pour
l'environnement.
Yasmine, vit à Los Angeles, Etats-Unis : La nature n'a pas une grande place dans ma vie, je ne fais jamais de
randonnée, je ne vais pas à la montagne. En fait, j'ai peur des grosses montagnes, j'ai peur des océans, donc j'imagine qu'on peut aussi dire que j'ai peur de la nature, parce qu'elle est trop
puissante. L'océan est si immense, les montagnes sont si gigantesques, et il y a tous ces animaux ... Pour être parfaitement honnête, je pense que j'ai peur de la nature.
Anatoli, vit en Sibérie, Russie : Dans le chamanisme, le temple, c'est ce qui nous entoure. Le dôme, c'est le ciel éternellement bleu, ce qui nous
entoure, ce sont les attributs de tous les temples. L'homme moderne se trompe quand il entre dans un temple, il allume une bougie, prononce une prière et sort. Il pense qu'il a fait quelque chose
de spirituel, puis il oublie ce qu'il a prononcé et demandé à Dieu. Quand nous nous trouvons dans notre temple, le temple universel de l'homme, nous nous sentons en union avec la nature. Le
Baïkal sacré, les monts sacrés des Saïan, les cèdres sacrés, les bouleaux, les merisiers sauvages. Nous les Bouriates nous nous sentons partie de cette nature. Comment mal se comporter avec la
nature lorsque nous en sommes une parcelle ? Tout a une âme, il faut tout traiter avec précaution.
Qu'est-ce que Dieu pour vous ?
Charlene, vit aux Etats-Unis : Oui je pense à honorer Dieu dans ma vie
quotidienne. Pour être honnête avec vous, après être tombée malade, j'ai eu du mal à honorer mon Dieu. J'étais très très en colère contre lui mais cela ne m'a pas fait de bien, j'ai du revenir
vers Lui. Aujourd'hui, je ne parle pas à Dieu comme j'avais l'habitude de le faire : je priais quotidiennement, je le remerciais pour mes bénédictions et lui demandais pardons pour mes péchés ...
Je le fais encore plus ou moins chaque jour, mais je ne l'honore plus autant qu'avant.
Lysiane, vit à Tahiti : Personnellement, je
crois en Dieu, mais je ne crois pas au Dieu qu'on nous a inculqué depuis notre plus tendre enfance ; c'est-à-dire le Dieu avec Jésus et Marie, et tout ça, toute l'éducation catholique... Je suis
protestante, mais moi je crois beaucoup plus au dieu de la nature, je crois beaucoup plus au vent, à la pluie, au soleil, à l'oiseau qui passe. Bizarrement, il y a un petit oiseau avec un long
bec qui longe toujours le littoral, au bord de la mer, il émet parfois un petit cri, et chaque fois que j'entends ce petit cri-là, il y a toujours une mauvaise nouvelle. C'est bizarre. Mais je
crois en ça.
Houria, vit en Algérie : Je lui raconte des choses que je ne raconte à personne d'autre. En France ils peuvent se
confier à un prêtre par exemple, et ce prêtre n'a pas le droit de raconter ce qu'on lui a dit. Nous, on n'a pas ça en Algérie. Si tu te confies à un imam il ne va pas t'écouter, alors tu te
confies à Dieu. C'est le meilleur ami, à mon avis.
Agnès, vit aux Pays-Bas : Je pense que Dieu est assis sur une montagne. Comme les
Dieux de l'Olympe dans l'Antiquité Grecque, mais disons que là, il n'y a plus qu'un Dieu. Et Il est en train de regarder ce putain de monde et Il est mort de rire. C'est un petit bonhomme très
méchant, perfide et fainéant, qui est assis sur son cul et qui regarde comment le monde est en train de se casser la gueule.
Dominique, vit en
France : Mon dieu c'est ma femme et il est superbe. Il me fait des sourires tous les matins, je crois que c'est la plus belle chose.
Gemdasu, vit en Papouasie Nouvelle-Guinée : Quand la religion est arrivée, tout ce que j'avais appris de mes ancêtres tumbuans a perdu sa valeur. Tout est
confus pour moi dans la distinction entre le Bien et le Mal. Je crois en Dieu, mais je veux quand même être momifié après ma mort, selon nos lois tribales. C'est après ma mort que je saurai qui
du christianisme ou de mes croyances tribales a raison. Je ne sais pas. Tout ce que je sais c'est que je dois me faire momifier et placer dans la grotte sous mon village. C'est ce que je
veux.
Vous pouvez vous aussi participer au projet 6 milliards d'Autres en répondant au questionnaire sur le
site www.6milliardsdautres.org