Blanca choisit une Zambra, danse expressive que les Espagnols ont empruntée des Maures. Une des jeunes femmes commence à jouer sur la guitare de la danse étrangère. La fille de don Rodrigue ôte son voile, et attache à ses mains blanches des castagnettes de bois d’ébène. Ses cheveux noirs tombent en boucles sur son cou d’albâtre, sa bouche et ses yeux sourient de concert ; son teint est animé par le mouvement de son cœur. Tout à coup elle fait retentir le bruyant ébène, frappe trois fois la mesure, entonne le chant de la Zambra et, mêlant sa voix aux sons de la guitare, elle part comme un éclair.
Quelle variété dans ses pas ! quelle élégance dans ses attitudes ! Tantôt elle lève ses bras avec vivacité, tantôt elle les laisse tomber avec mollesse. Quelquefois elle s’élance comme enivrée de plaisir, et se retire comme accablée de douleur. Elle tourne la tête, semble appeler quelqu’un d’invisible, tend modestement une joue vermeille au baiser d’un doux époux, fuit honteuse, revient brillante et consolée, marche d’un pas noble et presque guerrier, puis voltige de nouveau sur le gazon.
L’harmonie de ses pas, de ses chants, et des sons de sa guitare est parfaite. La voix de Blanca légèrement voilée, avait cette sorte d’accent qui remue les passions jusqu’au fond de l’âme.La musique espagnole, composée de soupirs, de mouvements vifs, de refrains tristes, de chants subitement arrêtés, offre un singulier mélange de gaité et de mélancolie. Cette musique et cette danse fixèrent sans retour le destin du dernier Abencérage : elles auraient suffi pour troubler un cœur moins malade que le sien.
Chateaubriand. Le dernier Abencérage, page 279-280. Garnier Classiques
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