C'est étrange comme la
présence de personnes qu'on connaît à peine peut parfois être propice à la confiance, à la confidence. À bien y réfléchir, c'est somme toute assez logique. Face à des inconnus qu'on ne prévoit pas
de revoir, les mots ne peuvent avoir que des conséquences immédiates, il n'y a pas à craindre les effets d'une confidence trop intime sur le futur de la relation. Et si l'on s'expose toujours au
jugement de l'autre en se livrant, celui d'un anonyme ne nous affecte pas autant que celui de notre entourage.
C'est une des raisons qui explique la bonne ambiance qui règne lors des séances de préparation à l'accouchement. Évidemment, le fait que nous partagions tous la même expérience au même moment y est
pour beaucoup aussi, tout comme d'ailleurs l'absence totale de rigidité dont A. fait preuve dans ces occasions. Toujours décontractée, souvent encline à plaisanter, elle dynamise le groupe sans
jamais se prendre au sérieux et respecte la parole de chacun, quelle qu'elle soit.
Ces paroles, je m'en suis rendu compte hier, sont plutôt univoques. Bien sûr, chaque femme est unique et chaque grossesse une odyssée singulière. Mais pour chacune de celles qui participent avec
nous à ces séances, la conception de l'enfantement est proche. Pour toutes, porter une vie avant de la faire naître est une aventure extraordinaire, presque mystique, qu'il convient de voir avec un
émerveillement sans cesse renouvelé. Point d'orgue de cette symphonie fantastique, la naissance est un moment qui cristallise à lui seul toutes les joies et toutes les douleurs de la condition
humaine. Lors de la séance d'hier, une des participantes évoque ainsi la douleur de l'enfantement comme un mal nécessaire, un exutoire libérateur des peurs et des souffrances accumulées auparavant.
Je ne suis pas persuadé que toutes les femmes enceintes voient les choses sous cet angle, et je ne pourrai jamais vérifier dans ma chair l'exactitude de cette assertion; mais l'idée est séduisante.
Ou peut-être m'en persuader est-il un bon moyen de mieux supporter les souffrances à venir de Gabrielle ?
Au-delà de cette interprétation de la douleur, toutes les femmes présentes ou presque souhaitent que leurs accouchements se déroulent dans les conditions les moins médicalisées possibles.
L'attitude vis-à-vis du corps médical n'est pas la même pour toutes - cela va de la simple mise à distance à la franche défiance - mais toutes désirent que le moment de la mise au monde reflète
tout à la fois la magie et le naturel avec lequel elle considère la naissance. Cette convergence de vues prend pourtant racines à des sources différentes. Pour certaines, cette approche est
filiale. Leurs mères ont accouché à domicile et il ne leur viendrait pas l'idée de faire autrement. Pour d'autres, c'est le contraire. Ayant elles-mêmes vécu ou assisté à des accouchements
médicalisés, elles en ont perçu toute la violence. Une violence froide et désincarnée qu'elles ne veulent pas (re)vivre et qu'elles refusent d'imposer à leur enfant. Dans la grossesse comme dans le
reste de sa vie, un être humain se construit en réaction. Il essaie de reproduire ce qu'il a aimé et bien vécu et tente d'éloigner les expériences négatives qu'il considère contre nature.
Nous-mêmes ne faisons pas autre chose aujourd'hui. Notre démarche résulte de nos histoires personnelles, de notre histoire commune et, en grande partie, de la façon dont nous avons vécu la
naissance de Nils et Ulysse.
Chaque histoire est particulière, unique. Chaque rapport à la maternité aussi. Pourquoi certains professionnels de la naissance refusent-ils encore aujourd'hui de prendre en compte cette évidence ?
S'ils le faisaient, ils renonceraient à la standardisation de la prise en charge pour se livrer à une approche plus personnelle et plus humaine de chaque grossesse. Certes le système actuel,
tendant à tout rationaliser, surtout les coûts, n'arrange pas les choses; au contraire, il pousse les médecins à privilégier l'acte au détriment du contact. Pourtant certains professionnels
parviennent, malgré tout, à concilier sécurité et prise en compte de la parole des parents dans leur pratique de l'obstétrique. Il s'agit donc bien d'une question de personnes. Nous cherchons
encore les bonnes.