Dans un précédent billet, nous avons ouvert le débat sur la relation entre le travail et le jeu en ligne. Et plus précisément dans quelle mesure il est possible d’exploiter son expérience de joueur en ligne en terme de compétence auprès de recruteurs. Aujourd’hui nous nous penchons sur l’utilisation d’un réseau de jeu en ligne afin de trouver un emploi.
Après plusieurs tentatives pour rentrer en contact avec des joueurs de World of Warcraft, nous avons trouvé en la personne de Dje (son pseudonyme dans le jeu), la perle rare. Il nous livre son expérience.
DoYouBuzz : Que fais-tu actuellement dans la vie ?
Dje : Je suis salarié au sein d’une SSII internationale, et suis donc missionné pour intervenir directement chez nos clients. Je travaille dans un domaine appelé « testing », qui consiste notamment à mettre en place des solutions de tests de disponibilité et de performance sur des systèmes d’information.
DYB : Comment ton réseau dans le jeu t’a-t-il aidé à trouver du travail ?
Dje : Grâce à la guilde que je gérais à l’époque, j’ai rencontré Maoh qui travaillait sur l’élaboration de numéros hors-série entièrement dédiés à World of Warcraft (WoW) pour le magazine Joystick. Elle s’était tournée vers nous afin d’assister à nos raids, et d’obtenir de l’aide à la rédaction de stratégies. Notre rôle a consisté à proposer un contenu difficile à trouver à l’époque, à savoir en français et suffisamment généraliste pour toucher un large lectorat. Il fallait donc s’adresser à une population cible qui ne faisait pas partie de ce qu’on considérait comme « l’élite ». Ma profonde implication dans les échanges communautaires m’a aidé à mieux organiser mes idées, et à développer un mode d’expression qui convenait bien à la réalisation d’articles de vulgarisation. Quelques mois plus tard, j’ai obtenu un premier entretien dans une SSII grâce à un ami proche que j’ai connu grâce au jeu. En dépit d’un parcours étudiant chaotique, qui aurait pu jeter le doute sur ma capacité à répondre aux attentes de l’entreprise, j’ai été recruté sur la base de deux qualités : ma passion pour l’informatique, et ma facilité à communiquer. Le métier d’un prestataire s’éloigne de plus en plus du « 100% technique », et intègre du même coup un rôle de vitrine primordial pour le renouvellement des contrats.
DYB : Ce devait être difficile pour ton contact de te décrire à son responsable sachant que vous jouiez en ligne via des avatars.
Dje : Mon ami a fait suivre mon CV à son responsable en sachant quel type de personne j’étais. Ce genre d’opinion se forge avec le temps qu’on passe ensemble, et c’était relativement considérable quand on en venait aux chiffres. Quatre heures par soir, cinq soirs par semaine, pendant deux ans ; je dirais que le fait de jouer avec cette personne a plutôt influencé positivement la chose. Il n’avait d’ailleurs pas d’inquiétude particulière sur mon rythme de vie sachant qu’il menait, de son côté, une carrière et une vie de famille toutes deux très satisfaisantes. D’autre part, nous nous rencontrions très souvent, ce qui fait que notre relation amicale n’avait plus rien de virtuel.
DYB : Quelles expériences en as-tu retiré ?
Dje : J’ai souvent beaucoup, et longtemps, discuté avec d’autres joueurs de la capacité à m’exprimer que j’ai acquise au travers de mon expérience de maître de guilde. Je suis persuadé que le temps que j’ai passé à gérer l’effectif, le calendrier, et les raids en eux-mêmes, m’a aidé à présenter les choses de sorte qu’elles soient compréhensibles par quelqu’un n’ayant pas le même mode de fonctionnement. C’est aussi une expérience très rare et précieuse que de pouvoir, à 20 ans, gérer un groupe de 80 personnes, qui sont pour moitié plus âgées. On relativise beaucoup plus, et surtout on est plus lucide quant à l’investissement personnel qu’on peut avoir dans ce genre de projet. On découvre brutalement, par exemple, le fait qu’il est très compliqué d’avoir à la fois une relation profondément amicale avec quelqu’un qu’on doit superviser…
DYB : Penses-tu qu’actuellement en France on puisse communiquer sur sa personne sur ses qualités développées grâce à des jeux comme WoW pour se faire remarquer par des recruteurs potentiels ?
Dje : J’en suis persuadé. Ceci dit, je ne sais pas dans quelle mesure on peut vraiment ramener son expérience de leader “In Game” à un bénéfice pour une carrière de leader sur un poste pour lequel on postule. Cependant, je suis convaincu que c’est une expérience extrêmement enrichissante, et ce, surtout pour les personnes qui sont amenées à ÊTRE encadrées. Les leaders aiment gérer des personnes qui savent en quoi leur métier est compliqué, et qui savent agir en conséquence. Sans rentrer dans un discours purement commercial, je trouve que c’est important de parvenir à mettre en avant une volonté d’aller au delà de la “base” qu’on attend. Vouloir faire plus que la moyenne est un excellent point à mettre en avant face à un recruteur. Cela permet non seulement de mettre en avant ses qualités, mais aussi d’associer à son profil une identité qui, bien mise en valeur, peut se montrer tout-à-fait profitable. Nous vivons une époque où les trentenaires ont vécu au cours de leur adolescence l’expansion des jeux vidéos, des bandes dessinées, des animations américaines et japonaises. Tous ces jeunes cadres sont potentiellement, comme nous, des passionnés de ces loisirs pas si nouveaux que ça. J’ai peut-être aussi eu de la chance en tombant sur quelqu’un qui partageait mes centres d’intérêts. Bien entendu l’informatique est probablement un domaine à part de ce point de vue, mais il faut garder à l’esprit que c’est aussi et surtout le regard que porte le recruteur sur une expérience qui lui accorde sa valeur. Et je reconnais bien volontiers que c’est ici que se trouve le risque.
Dans les années à venir, pourrions-nous rajouter sans hésitation une ligne expérience virtuelle dans nos CV ? L’expérience de Dje nous a permis de voir les qualités que l’on peut exploiter pour se valoriser auprès des recruteurs. Notre seconde vie numérique permettra-t-elle de nous démarquer ? Réponse dans les années à venir.
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 15 décembre à 15:55
Interview très intéressante.