La cascade de mesures prises depuis 2004, 1euro, 18 euros et enfin franchises médicales, avait initialement pour objectif d’instaurer des tickets modérateurs d’ordre public non remboursables par l’assurance complémentaire. L’interdiction pure et simple n’étant pas conforme au droit européen, la position de repli des pouvoirs publics a été de limiter le bénéfice des avantages fiscaux et sociaux (exonération de la taxe de 7 %, non-assujettissement aux charges sociales et déductibilité fiscale pour les contrats collectifs) aux seuls contrats « responsables », la responsabilité se mesurant initialement au fait de rembourser ou non le fameux euro.
Il eût été logique que la franchise de 18 euros sur les soins lourds soit intégrée dans la réglementation des contrats « responsables ». Mais rien n’est logique dans notre beau pays. Comme 18 euros font très exactement 18 fois plus que 1 euro, les responsables du dossier se sont dit qu’une interdiction d’assurance de fait (il n’y a pour ainsi dire plus que des contrats « responsables » sur le marché) risquait d’être franchement impopulaire et y ont donc renoncé.
Le traitement des franchises version 2008 a été longtemps incertain. Les esprits les plus cartésiens et les lobbys d’assureurs plaidaient pour l’abandon pur et simple d’une notion de ticket modérateur d’ordre public dont tout le monde sait qu’il ne responsabilise personne. Ils n’ont pas obtenu gain de cause pour des raisons obscures, vraisemblablement liées à la volonté de certains de ne pas perdre la face.
Dommage. Car la coalition des cartésiens et des assureurs santé a fondamentalement raison. Les assurés sont totalement paumés. Ils avaient déjà beaucoup de mal à comprendre le fonctionnement du ticket modérateur et du forfait journalier à l’hôpital et voilà qu’on leur a ajouté en à peine trois ans une participation forfaitaire d’un euro sur les actes médicaux, une franchise de 18 euros sur les actes hospitaliers lourds et, enfin, une franchise supplémentaire sur les actes médicaux. Ça finit par faire trop. Et par rendre le système incompréhensible. Le prélèvement après coup dans le cas du tiers payant n’arrange rien : on a inventé des machins aussi difficiles à gérer que peu lisibles.
Par ricochet, les mécanismes de prise en charge par les mutuelles sont de plus en obscurs. Au moment de la mise en place du 1 euro, le tarif de convention de la consultation de généraliste était de 20 euros. De nombreuses directions de mutuelles et d’institutions de prévoyance s’étaient alors fait prendre à partie par des délégués qui leur reprochaient d’avoir abaissé le taux de prise en charge de 100 à 95 %.
Comment peut-on responsabiliser des gens qui ne comprennent rien aux mécanismes qu’on met en œuvre ? Difficile. Rien n’indique d’ailleurs que des prélèvements supplémentaires aient un quelconque effet responsabilisant. Les assurés ne consomment pas des soins par plaisir, mais par nécessité, et la surmédicalisation n’est pas de leur fait, mais de celui des professionnels de santé. Ceux qui consomment très peu, et qui contribuent souvent beaucoup, ne peuvent qu’être exaspérés par ce qu’ils ressentent comme du racket. A l’autre bout, ceux qui consomment énormément estiment que, compte tenu de leur état de santé, c’est responsable et n’en sont pas à quelques euros près (ceux qui le sont étant exonérés).
Le caractère symbolique des différentes mesures prises une à une n’est de toute façon pas de nature à faciliter les prises de conscience. L’euro symbolique de 2004 et les 50 cents de 2008 ne font pas très sérieux, ils donnent l’impression qu’on peut restaurer les comptes de la Sécu avec des queues de cerises. Comme nous le faisions remarquer plus haut, dès qu’on est passé à 18 euros, on a arrêté d’être responsable et la prise en charge par les assureurs santé a enlevé à la mesure tout caractère contraignant.