Un essai de 140 pages, tout à fait dans le format « léger » de notre époque qui n’a le temps de rien, enquête sur le système que forment les media avec leur public. Car il s’agit bien d’un système, qui fonctionne de façon dialectique : tu me changes, je te change – et pousse la barbichette !
Hier, l’information visait à informer – aujourd’hui, l’information est à consommer.
Hier, le lecteur adulte et citoyen cherchait à comprendre, à se faire une idée – aujourd’hui, l’infantile zappeur absorbe en boulimique et passe d’un fait à l’autre sans jamais s’arrêter.
Hier on prenait confiance dans le savoir et la compréhension – aujourd’hui, l’excès rend méfiant et mal-informé.
Hier on pensait – aujourd’hui on se shoote.
Telle est l’analyse d’une équipe de sociologue dont Denis Muzet rend compte. Il n’y a plus de lectorat ou de téléspectateur : il n’y a plus que des médiacons (somme à toute heure) – des ‘médiaconsommateurs’. Je me demande s’il n’y aurait pas un lien entre la propension à l’obésité et cette propension à la consinformation. De la malformation à la malinformation, ce n’est après tout que la traduction directe du corps tordu dans l’esprit. Tous deux sont des comportements infantiles, de la névrose boulimique ; tous deux sont des excès dû au tout-consommation.
Comme dans le comportement de malbouffe, il s’agit de grignoter à tout moment. Là un chocolat marketé télé, ici une info formatée télé. Il faut que les deux soient brefs, faciles d’accès, et fassent plaisir. Rien ne doit arrêter le compulsif, à consommer tout de suite. Cela ne peut être que du superficiel – tout ce qui est compliqué, recette gastronomique ou analyse journalistique est trop indigeste ! Fast-food – fast news : l’anglais globish est merveilleux pour réduire les concepts à deux syllabes. Le bol médiatique ainsi traité comme un bol alimentaire s’ingurgite mieux dans les gosiers lassés.
Dès lors, l’info en continu est comme la bouffe en continu : une manie compulsive. Elle vise à se rassurer comme le loupiot qui tète son pouce, l’ado son Coca ou la pétasse sa clope. CNN comme Mars ou Smarties « calme une peur permanente » - celle de ne pas « en être », de ne pas ingurgiter comme les autres au même moment que les autres. Cela pour « appartenir », se sentir de la bande, bien au chaud dans l’infantilisme collectif où chacun se conforte dans ses préjugés et se réconforte du collectif.
Le monde est un « chaos global » et seul la raison humaine lui donne sens. A consommer plutôt qu’à penser, à avaler sans goût ni appétit, à absorber sans réfléchir, on ne comprend plus rien. Pas de quoi être « rassuré » par l’information ! Les media institutionnels apparaissent peu crédibles – surtout en France où la démagogie des ventes a tiré vers le court, le partisan et le moral à prétention universal-socialiste. Les sociologues cités dans l’essai confirment que la défiance envers ces media institutionnels est générale, profonde et durable. Chacun préfère son « bricolage » composé de rumeurs de blogs, de sites internet connus, d’encyclopédies ouvertes et de ce-qu’en-disent-les-autres. Rien de fiable pour qui réfléchit un peu…
Être coproducteur de l’information est pourtant un idéal utile. Surtout pour qui se veut adulte et citoyen, parent responsable et humaniste. Pour cela, il faut reprendre de la distance, ne pas écouter en boucle les mêmes scies en continu style CNN ou France-Info (qui finit par dire n’importe quoi à force de répéter le même texte toutes les 7 mn - testez !). Il faut se donner le temps de réfléchir tout seul, de rechercher sur le net des éléments dans des sites fiables, les recouper… En bref un travail – que la flemme ambiante n’encourage pas, de l’Éloge de la paresse d’une ex-fonctionnaire des Postes au je-m’en-foutisme affiché des employés de l’Emploi, de la démagogie nationale d’une Éducation qui nivelle les notations au bac au corporatisme affiché des enfeignants qui refusent d’enseigner parce qu’ils cherchent encore quoi chercher (« une très rare minorité » mais « d’environ 10% » quand même, dit-on « selon des sources proches de l’université »).
Combattre l’obésité qui guette par de l’exercice, de la diététique et un peu de musculation - c’est valable pour la nourriture comme pour l’information. Notre époque hypermoderne a bel et bien réduit le journalisme au marketing et l’info à la conso, sans que l’on s’en soit guère aperçu… C’est tout le mérite de cet essai que de le mettre en lumière.
Denis Muzet, La mal info, enquête sur des consommateurs de media, L’Aube Poche essai, 140 pages, 7.4€
LES COMMENTAIRES (2)
posté le 17 février à 15:24
plip
posté le 16 février à 12:18
Pour moi la mal information c'est tout simplement de regarder les infos sur tf1 et d'y croire dur comme fer!