Interview de Pascal Lamy par Nicolas Demorand
7 janvier 2009 – France
Inter
Nicolas Demorand : Tout le monde parle de réformer le capitalisme, de la gauche à la droite. Quel mécanisme selon vous pourrait avoir un effet de levier suffisant pour entamer le cercle
vertueux. Allons-y sans philosophie.
Pascal Lamy : Je crois qu’il faut faire un peu de philosophie quand même…
ND : Oui mais tout le monde est d’accord sur les bases philosophiques.
PL : Si, je pense que c’est nécessaire de préciser d’abord qu’il ne faut pas renoncer à réfléchir à des alternatives au capitalisme. Ce n’est pas parce que l’on n’a pas trouver d’autre système qu’il ne faut pas continuer à chercher car ce système est quand même très très injuste.
ND : Là je vous arrête Pascal Lamy, car ça c’est vrai que c’est un scoop philosophique, il faut réfléchir dites-vous à des alternatives au capitalisme ?
PL : Bien sûr je l’ai dit depuis longtemps, ce qui ne me met pas du côté anarchiste si je puis dire. Il faut reconnaître que ce système qui se nourrit et qui créait de l’injustice, on le sait depuis 200 ans, sa plus grande phase d’expansion au XIXè siècle …. Ce système mérite d’être changé. Pour autant on n’y est jamais parvenu sérieusement et là il faut être réaliste et dire que toutes les tentatives de le changer fondamentalement ont échoué. Donc en attendant, pendant que l’on cherche, il faut l’améliorer, corriger, maîtriser.
ND : Donc régulons à la place de l’alternative. On retombe sur quelque chose de simple.
PL : C’est juste mais c’est pour ça que je me permettais de faire ce petit détour pour répondre à cette question. Evidemment, de là où je suis ce n’est pas un hasard si j’y suis. Je suis de ceux qui pensent que le problème essentiel de régulation est au niveau mondial. Le capitalisme est aujourd’hui mondialisé. La régulation du capitalisme n’est mondialisée que très très partiellement et on vient de le voir avec cette énorme crise financière, qui trouve son origine dans un trou de régulation internationale d’une activité très importante pour la vie de la planète. Il y avait encore un défaut de régulation dans ce domaine. Par chance ce n’est pas partout et notamment sur le plan commercial. Le commerce et la finance sont au niveau international deux univers différents, séparés. Et là je crois qu’il faut tirer les leçons de l’histoire.
ND : Quelles leçons faut-il tirer pour enclencher un changement immédiat, puisqu’à long terme nous serons tous morts comme dirait l’autre ?
PL : Bâtir une régulation efficace, sérieuse et contraignante en matière financière prendra au moins 5 ou 6 ans. A court terme il faut faire ce que les gouvernements ont fait en agissant de la manière la plus coordonnée possible – et plus ils le feront de manière coordonnée, plus ce sera efficace – en faisant des injections médicamenteuses pour lutter contre l’infarctus financier que nous avons connu l’année dernière.
ND : C’étaient juste des traitements de crise ces différents plans de relance ? Vont-ils relancer vraiment l’économie ?
PL : Je crois que ces plans sont indispensables à court terme, car il faut redonner des perspectives aux acteurs économiques, qu’ils soient consommateurs ou producteurs. C’est vrai absolument partout. Il faut voir qu’en 2009 l’économie mondiale c’est quand même 2/3 de pays en récession, 1/3 de pays en croissance ralentie (Chine, Inde, Brésil). L’interaction entre ces 2/3 et ce tiers est fondamentale. Il faut aider le tiers de l’économie mondiale qui croit encore à des dans les générations futures.
ND : Donc à la question « est-ce que ces plans de relance vont marcher ? », vous venez de faire une très longue périphrase pour dire qu’ils ne vont pas marcher…
PL : Il n’y a pas d’autre solution à court terme que ces plans de relance. Est-ce que c’est assez ? Vous remarquerez que tous les auteurs de plans de relance ne répondent pas si cela est suffisant. Les pouvoirs publics ont tiré les leçons de l’histoire et savent désormais que dans ce genre de situation le pilotage doit faire en sorte que les finances publiques complètent ce que les finances privées n’arrivent pas à financer.
ND : Vous êtes le patron de l’Organisation mondiale du commerce. Vous êtes l’unique candidat à votre succession je crois Pascal Lamy, votre mandat arrive à échéance.
PL : Mon mandat arrive effectivement à échéance en juillet 2009 et effectivement il n’y aucun autre candidat à la succession. Cela va me permettre de me concentrer pendant les prochains mois sur le travail et l’action au lieu de mener une campagne électorale.
ND : C'est-à-dire que l’on a trouvé personne dans le monde qui accepte d’aller dans une galère pareille ?
PL : C’est une des interprétations possibles. Il y en a d’autres qui sont un peu plus flatteuses mais je dois reconnaître que c’est une des explications possibles.
ND : Alors parmi les interprétations les moins flatteuses on peut dire que votre bilan s’est soldé par un magnifique échec. L’échec est celui des négociations de Doha. Le dossier est effroyablement complexe, en tout cas la conclusion est simple, c’est que vous n’y êtes pas parvenu.
PL : Pas encore…Pas encore. Mais en matière de négociations, chacun le sait, c’est un processus d’accumulation. Depuis deux ans il y a eu des progrès énormes dans cette négociation. On est tout prés de la fin C’est vrai, on n’a pas encore franchi la ligne d’arrivée et il va falloir attendre la mise en place d’un nouveau gouvernement américain, pour savoir exactement quelle est la position de cet acteur important du système. Nous allons donc perdre quelques mois au début de l’année 2009, ça permet de réfléchir et de procéder pendant ce temps là à quelques nettoyages de printemps, notamment en ce qui concerne notre mission de surveillance commerciale, pendant la crise, et du respect de toutes ces disciplines que nous gérons. En attendant que l’administration américaine y voit clair sur sa position.
ND : Et si cette administration était protectionniste ? Ce sont même les représentants de l’administration sortante, qui le disent. Barack Obama pourrait être commercialement protectionniste.
PL : Qu’un gouvernement sortant prête au gouvernement qui le remplace quand il a été battu des intentions qui ne sont pas les bonnes, c’est courant en politique. Et je ne crois pas que l’on peut répondre avec des questions qui commencent par« et si ». Ce qui est vrai pour les républicains comme pour les démocrates est que dans la population américaine il y a une sorte d’insécurité sociale, qui fait que l’ouverture au vent de la concurrence et de la division internationale du travail est plus douloureuse au niveau électoral qu’à un certain nombre d’endroits et notamment en Europe. C’est pas un problème de protection commerciale, ce n’est pas parce que la population américaine a des besoins de protection qu’il faut en déduire Nicolas Demorand, qu’il faut faire du protectionnisme à la frontière. C’est la mauvaise réponse à une bonne question qui est celle du besoin de protection.
ND : Et qu’est-ce qui vous fait dire que c’est la mauvaise réponse à une bonne question ?
PL : Ce qui me fait dire cela c’est l’histoire économique, l’expérience des 50 dernières années, l’expérience des 10 dernières
années et c’est ce que les PED, qui sont ceux qui ont besoin le plus de se développer me disent tous les jours à l’Organisation Mondiale du Commerce et ¾ des membres de l’OMC sont des PED. Il n’y
a pas plus qualifiés que les PED eux-mêmes pour dire ce qui est bon pour eux.