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Relecture de Tigre en papier (4/5)

Publié le 16 février 2009 par Sheumas

   En même temps, le narrateur constate avec une froide lucidité à quel point le Temps « ce grand cachalot » comme il l’écrit a passé sur l’histoire et sur les visages. L’œuvre est beaucoup moins politique que proustienne.

   Avec le même savoureux humour que Proust, l’auteur brosse des portraits, évoque des situations qui oscillent entre le mélancolique et le grotesque. Je cite ici un long extrait particulièrement acide qui se développe à partir du motif proustien de l’aquarium de Balbec.

   « Vieilles squames, épinoches tout en arrêtes, avec en proue un petit masque de peau tendue, cireleuse, dans quoi tournent des yeux inquiets, mérous, rascasses.

« Le temps vous a enfermés dans des outres de vieille peau, et vous êtes tous là à faire la course en sac »…

   Et le narrateur qui ne consent pas à se voir dans le même sac, lui qui s’identifiait au Ché du temps de sa splendeur ! 
  

   Collections d’ex-voto. Il y a en chacun de vous un organe, une faculté en quoi se concentre et s’affiche la maladie du temps, comme les bras cassés, les pieds-bots, les yeux aveugles, les goitres de fer blanc par lesquels la piété populaire en appelle à Dieu d’une disgrâce de la chair. Une partie de votre corps fait image et prière, une partie de chacun de vous est clouée au mur de la vie en muette supplication. Ces flétrissures dans les miroirs où vous vous rasez, vous maquillez, vous les avez vues éclore à la surface de vous (…) Yeux larmoyants, paupières enflées, festonnées, baldaquins… Cernes couleur de vieux jambon, couperose, tortillons pileux tirebouchonnant hors des narines, des oreilles, houpettes de cheveux comiquement hérissés, pâte à crêpe enveloppant les traits, fanons, tavelures, rides, pattes-d’oie, toutes ces cochonnerie, ce kit du devenir cadavre… Rien que pour la gueule… ne parlons pas du reste, catarrhe, jambes varriqueuses, panses flatulentes, bras en drapeau, vertèbres mal graissées, obligeant à marcher cassé comme un laquais, tout ce pitoyable bric à brac...


  
Le texte donne ici dans la caricature. Mais cela n’empêche qu’à de nombreuses reprises, il verse dans le mélancolique et le pathétique... C’est ce qui lui donne une force supplémentaire. J’y reviens demain.

Relecture de Tigre en papier (4/5)

par Eric Bertrand publié dans : livres communauté : Voyage et écriture
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