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"Parce que vous êtes toutes uniques"

Par Lebibliomane


"Au secours pardon" Frédéric Beigbeder. Roman. Editions Grasset et Fasquelle, 2007

Je n'avais jamais eu, jusqu'à ce jour, l'occasion de lire un ouvrage de Frédéric Beigbeder et à vrai dire, je n'en éprouvais pas spécialement l'envie. Mais j'ai été sélectionné pour faire partie du jury du Prix des lecteurs du Livre de Poche 2009 et à cet effet je vais recevoir d'ici à juillet 23 romans (3 à 4 par mois), les lire et voter ensuite pour celui qui m'aura le plus séduit.
La première sélection (3 romans) m'a donc été envoyée il y a trois semaines et parmi eux se trouvait « Au secours pardon ».
Je me suis donc lancé dans la lecture de cet ouvrage , faisant connaissance avec Octave Parango, le héros du célèbre « 99 francs ».

Suite à quelques mésaventures dont j'ignore tout, puisque n'ayant pas lu le roman précédemment cité, Octave se retrouve en Russie où il exerce le job de « talent scout », c'est à dire employé d'une agence qui doit dénicher celle qui sera la future Top Model pour le compte de la firme de cosmétiques internationale L'Idéal Parce que vous êtes toutes uniques »).


Alors Octave ratisse tout le territoire russe en quête de celle qui deviendra le fantasme de tous les hommes de la planète, de celle à qui voudront ressembler toutes les femmes du monde.
De Moscou à St. Petersbourg en passant par Minsk, Smolensk, Rostov, Nijni-Novgorod, Krasnoïarsk, Dniepropetrovsk et autres localités aux noms imprononçables pour les non-slavophones, Octave écume tous les endroits susceptibles de recéler la future égérie des fashion victims.
Tout à son travail, Octave, qui ressent les affres de la crise de la quarantaine, n'est pourtant pas dupe du rôle qu'il doit jouer dans cette industrie de l'apparence et du marketing esthétique qui n'a pour but que d'imposer au monde entier sa propre vision de la beauté. De cette mondialisation de l'esthétique , Octave échafaude quelques hypothèses dont certaines révèlent les sinistres racines de cette dictature de la beauté et de la perfection :

« Le plus grave problème du mannequinat n'est pas la nymphophilie, ni même l'anorexie, mais le racisme. Si nous courons tous après la blondeur, il faut appeler les choses par leur nom : c'est parce que nous sommes fachos. Les nazis préféraient les blondes : ils auraient adoré la Slovaque Adriana Karembeu-Sklenarikova ou les Tchèques Karolina Kurkova, Eva Herzigova, Veronika Varekova et Petra Nemcova (après tout, ce n'est pas un hasard si Hitler a commencé par envahir la Tchécoslovaquie, le Führer avait le sens des priorités !). Les recruteurs de modèles vénèrent la race aryenne, ses pommettes hautes, ses yeux clairs, sa dentition saine, sa blancheur musclée. Vous connaissez la prédilection du camarade Staline pour les jeunes ballerines et les belles amazones. Il était aussi antisémite que Hitler. Les femmes qui ne correspondaient pas aux goûts esthétiques des dictateurs furent éliminées d'une manière ou d'une autre. Aujourd'hui, dans notre meilleur des mondes, le temps fait le tri : les vieilles et les moches sont exclues. La beauté est un sport où les hors-jeu sont fréquents. Quoi de plus fasciste que les élections de Miss ? D'un côté, les compétitions esthétiques à élimination publique ; de l'autre, les ratonnades de Tsiganes par des bandes de skinheads dans le métro de Moscou. […]
Mon histoire finira mal, je le sais. La dictature de la beauté engendre la frustration et la frustration engendre la haine. On ne peut pas participer impunément à cette idéologie. On commence par placarder des blondes slaves sur les murs pour vendre du shampooing, et ça se termine en bain de sang orchestré par des mouvements néonazis le jour de l'anniversaire de Hitler, pogroms de juifs, tabassage de Noirs, meurtres de Caucasiens, bombardements de Tchétchènes, ratonnades de Daghestanais. […] Chez moi on traite les enfants d'immigrés comme des délinquants à longueur d'année, jusqu'à ce qu'ils le deviennent, car les pauvres sont tellement obéissants qu'ils finissent par foutre le feu aux autobus et aux bagnoles, par courtoisie, pour ressembler à l'image qu'on leur projette d'eux-mêmes depuis la naissance. C'est vrai qu'ils ne ressemblent pas à la pub L'Idéal que je vais shooter au trimestre prochain. C'est presque flatteur, si ce n'était répugnant, de constater que mes photos feront autant de victimes que la décolonisation. Et s'il n'y avait que la France où l'extrême-droite frôle le pouvoir ! En Pologne, en Slovaquie, en Bulgarie, en Hongrie et en Roumanie, les ultranationalistes xénophobes grimpent dans les sondages quand ils ne gouvernent pas. J'en viens parfois à me demander si l'Europe nouvelle ne s'est pas construite sur l'extermination des juifs. Six millions de morts ne sont pas sans conséquence : nous avons détruit les juifs d'Europe pour y installer la domination des blondes slaves. Les nazis ont gagné leur combat ; nos agences se sont contentées d'emboîter leur pas de l'oie. »



Lui-même acteur et exécutant de cette idéologie aux relents nauséabonds, Octave se qualifie de « Fashiste », ressemblant en cela à l' Abel Tiffauges du « Roi des aulnes » de Michel Tournier, inquiétant personnage qui enlevait des enfants pour le compte des nazis dans le but d'améliorer et d'épurer la race aryenne. La comparaison s'arrête là car on ne peut tout de même pas mettre sur le même échelon l'extraordinaire roman de Tournier avec cette œuvrette de Frédéric Beigbeder. Je ne pense d'ailleurs pas que Beigbeder ait prétendu écrire un chef-d-œuvre avec ce roman, je pense plutôt qu'il n'a voulu que distraire son public sans se prendre au sérieux et sans vouloir endosser le costume du grand écrivain témoin de son siècle.


Toujours est-il qu'Octave, malgré sa lucidité affichée quant à son job, va finir par tomber amoureux d'une Lolita de St. Petersbourg prénommée Lena. Cette passion pour une gamine va l'entraîner dans une spirale infernale qui va peu à peu le pousser à commettre un acte désespéré.
Bref, et pour conclure, j'avoue que ce roman me laisse une impression mitigée. Ça se lit agréablement, malgré quelques jeux de mots un peu lourds et redondants, mais tout cela manque un peu de profondeur, de corps, de charpente. C'est amusant mais cela reste un peu trop superficiel et sombre souvent dans l'excès et la caricature. Dommage, car on sent que par moments Beigbeder va nous offrir un beau moment de lecture, et c'est à ce moment là que tout bascule et qu'il en fait des caisses, rendant son propos puéril, voire carrément agaçant.

Je ne peux pas dire que j'ai aimé ce roman, mais je ne peux pas non plus déclarer que je l'ai détesté ou trouvé nul. J'ai plutôt l'impression que le Sieur Beigbeder, s'il avait voulu s'en donner la peine, aurait pu nous pondre quelque chose de plus accompli. Il faudrait qu'il comprenne ce que son Octave n'a pas supporté d'admettre : on ne peut plus, ayant atteint quarante ans, rester le jeune homme que l'on était vingt ans plus tôt sous peine de paraître ridicule et de s'infliger de cruelles désillusions. Il faut, même si cela peut paraître triste et dommage, entrer dans l'âge de la maturité. Et si Frédéric Beigbeder consentait à accepter cette maturité, je crois qu'alors il pourrait nous offrir quelque chose de plus consistant que des romans comme celui-ci qui, bien que sympathique, ressemble plus à une ébauche qu'à une œuvre accomplie.



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