"Pour mesurer à quel point est effectivement délirante l’idée que l’esprit du capitalisme serait conservateur, autoritaire et patriarcal, il n’est que d’observer cinq minutes n’importe quelle variante de sa propagande quotidienne (publicité, mode, culture jeune, fêtes « citoyennes », journalisme, etc.). On constate aussitôt que le système du « laisser passer, laisser faire », dès qu’il atteint sa forme historique accomplie, ne peut fonctionner avec une efficacité maximale que s’il parvient, à chaque instant, à convertir la transgression permanente de toutes les valeurs héritées, en impératif catégorique et principe de sa propre expansion illimitée (…). La sacralisation permanente du désir, des différentes postures « rebelles » ou provocatrices, et de l’innovation sans fin, ne doit cependant pas être comprise comme la marque des seules formes développées de l’esprit capitaliste, même si c’est naturellement dans les conditions historiques de la consommation généralisée qu’elle trouve à se déployer de la façon la plus cohérente. En tant qu’idée elle est nécessairement présente dès les commencements de la philosophie libérale, lorsque celle-ci n’est encore qu’une utopie ingénieuse, soustraite à l’obligation de négocier des compromis historiques avec les différentes puissances établies, comme ce sera le cas tout au long du XIXe siècle."
Jean-Claude Michéa, Impasse Adam Smith, Climats, 2002, p. 71-72