Eau de bidet, moule à claques, mauvais berger, sautiche, maroufle, j'saut'dedans, fleur de Mazas ...
Autant d'insultes découvertes grâce à un courriel de mon ami C. P. de L., qui en a d'ailleurs, au passage, profité pour me traiter gentiment de "plouc". Grâce à lui, j'ai eu l'occasion de prendre connaissance d'un site hébergé par l' Université de Bourgogne et consacré à l'insulte en politique. Ce site est issu d'un projet, placé sous la direction de Thomas Bouchet, Matthew Leggett, Jean Vigreux et Geneviève Verdo, qui se présente comme une approche interdisciplinaire de "l'assaut verbal en politique et a pour objectif principal d'éclairer, selon un angle inhabituel, quelques questions importantes sur violence et politique, cultures et pratiques politiques, parole et politique."
Voici donc une petite sélection de ce que j'ai pu lire en me baladant sur le site, qui se double d'un livre, de cette étude dont le titre est L'assaut verbal en politique. L'insulte en Europe et en Amérique latine, de la fin du XVIIIe siècle à nos jours.
Commençons par une petite définition : selon les chercheurs, l'insulte en politique est un acte de communication réputé porter atteinte par la violence à la réputation d'un individu, d'un groupe, d'une institution dans la sphère publique.
L'année 1801 est marquée par les insultes scatologiques adressées à Napoléon Bonaparte par l'ancien commissaire du gouvernement du canton de Sainte-Cécile dans le Vaucluse : "Malgré ce coquin de Bonaparte, nous viendrons à bout de tous. Ce Bonaparte n'est autre chose qu'un coyon couronné de bouzes de vaches. Nous le ferons péter."
Jules Moch, qui, en 1948 mâta, les grèves des mineurs en envoyant 60'000 C.R.S. contre 15'000 grévistes a été copieusement insulté par le PC français : "Tous les Français dignes de ce nom vous haïssent [...] vous plus que tout autre Jules Moch qui faites pire que les nazis. Mais comme les boches, vous serez battu par les mineurs [...]." et le fameux "C.R.S.S."
C'est avec la loi sur l'"interruption volontaire de la grossesse.", en 1974, que Simone Weil en prend pour son grade par les adversaires de l'I.M.G. et notamment par Jacques Médecin qui ose affirmer : "Cela ne s'appelle plus du désordre, madame la ministre. Cela ne s'appelle même plus de l'injustice. C'est de la barbarie, organisée et couverte par la loi, comme elle le fut, hélas ! il y a trente ans, par le nazisme en Allemagne."
En septembre 1979, une séance de dédicace de Serge Gainsbourg est annulée sous la pression des associations d'anciens combattants et de l'Union Nationale des parachutistes (UNP). L'UNP de Marseille envisage même de faire interdire la vente de Aux armes et caetera la reprise reggae de La Marseillaise. La contre-attaque de Gainsbourg est cinglante : "Peut-être Droit, journaliste, homme de lettres, de cinq dirons-nous, [...] croisé de guerre 39-45 et croix de la Légion d'honneur dite étoile des braves, apprécierait-il que je mette à nouveau celle de David que l'on me somma d'arborer en juin 1942 noir sur jaune et ainsi, après avoir été relégué dans mon ghetto par la milice, devrais-je y retourner, poussé cette fois par un ancien néo-combattant ?"
En 1984, Georges Fillioud, secrétaire d'Etat chargé des techniques de la communication (cela ne s'invente pas) mettra le feu à l'Assemble nationale avec une phrase assez fine mais néanmoins très insultante : "Vous pouvez, messieurs, vociférer. Je pense et je suis sûr que le peuple jugera à ce qu'ils valent, ces guillemets, 'représentants-là'." Il faut dire que Fillioud venait de se faire traiter de "voyou", de "menteur" et d'"analphabète".
Dans le cadre de l'élection présidentielle de 2007, la Verte Dominique Voynet a été invitée à s'exprimer, comme les autres candidats, devant les membres de la Fédération nationale des chasseurs qui ont estimé opportun de venir accompagnés d'une ... poupée gonflable. Il n'en fallait pas plus pour qu'elle leur dénie le rôle de conservateurs de la nature et les menace : "méfiez-vous lorsque je reviendrai au pouvoir."
Je terminerai ce petit tour d'horizon en rappelant le très célèbre "Casse toi, pauv'con" de Nicolas Sarkozy en février 2008 à un marin-pêcheur quidam qui refusait de le saluer au Salon de l'agriculture et la toute récente comparaison que Blocher a faite à propos des vainqueurs du vote de la libre circulation : "Prenez des courants dictatoriaux comme le IIIe Reich, lorsque tous les gens s'alignent et applaudissent, ils font évidemment toujours partie des vainqueurs. Même chose chez les communistes." Et le Christoph d'enfoncer le clou en assimilant les UDC partisans de la libre circulation à un "nid de pourris".
L'insulte en politique est une discipline vieille comme le monde et promise à un avenir radieux.
- Crédit image : couverture du livre, ISBN : 2-915552-24-X ; 15 x 23 cm ; 292 pages ; 22 euros