La CNIL vient de faire rectifier le logiciel de l’agence nationale de l’accueil de étrangers et des migrations (ANAEM )sur la gestion du dispositif national d’accueil intitulé Dn@. Saisi par plusieurs associations dont la fédération nationale des associations de réinsertion sociale (FNARS), le président de la CNIL vient de leur annoncer des modifications substantielles dans le logiciel qui sert à gérer le dispositif des 21 000 places de centres d’accueil pour demandeurs d’asile et qui est présenté par le rapport CICI comme permettant « de faciliter le suivi des demandeurs d’asile hébergés en CADA et d’affiner le pilotage du dispositif national d’accueil. »
Gérard SADIK est responsable du secteur asile à la CIMADE.
Les Centres d’accueil pour demandeurs d’asile :un xénodoque inscrit dans la loi.
Depuis 1976, un dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés, financé par l’Etat a été mis en place. Jusqu’en 2006, les centres d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) étaient juridiquement des centres d’hébergement et de réinsertion sociale. (CHRS). La loi Sarkozy II de juillet 2006 les a distingué en créant des xénodoques modernes puisqu’ils ne peuvent accueillir que des demandeurs d’asile munis d’un titre provisoire de séjour, le droit de séjourner est lié à la procédure d’asile puisque la structure ne peut pas continuer d’héberger la personne qui a été reconnue réfugié ou qui a été définitivement rejetée de sa demande d’asile. Ces personnes sont alors qualifiées de « personnes indues ».
Le rôle de l’ANAEM
La loi a également prévu que l’agence nationale de l’accueil et des migrations (ANAEM) coordonne la gestion de l’hébergement dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile et à cette fin, « conçoit, met en oeuvre et gère, dans les conditions prévues par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, un traitement automatisé de données relatives aux capacités d’hébergement des centres d’accueil pour demandeurs d’asile, à l’utilisation de ces capacités et aux demandeurs d’asile qui y sont accueillis ». Les responsables de CADA « sont tenus de déclarer les places disponibles » et de « transmettre les informations, qu’elles tiennent à jour, concernant les personnes accueillies ». (article L.348-3 du code de l’action sociale et des familles).
Ce traitement automatisé dont parle la loi est un logiciel baptisé dn@ (prononcer dnarobase ou dnat mais il ne faut alors pas le confondre avec ceci). Il s’agit d’un système extranet avec accès sécurisé qui a été dans un premier temps expérimenté dans les régions Centre et Nord avant d’être étendu à l’ensemble du territoire métropolitain (les DOM n’ayant pas de CADA en dépit de la présence importante de demandeurs d’asile). La déclaration à la CNIL avait été faite en juillet 2007 et le récépissé de déclaration renvoyé en février 2008. Pourtant, il n’est toujours pas officiellement en œuvre. Car les associations gestionnaires de CADA se sont inquiétées de la multitude d’informations demandées.
Un outil de gestion de l’offre de prise en charge.
Depuis novembre 2006, les préfets sont compétents pour faire une proposition d’offre de prise en charge aux demandeurs d’asile dès la délivrance de la première autorisation provisoire de séjour. Cette proposition est une offre de principe d’un hébergement en CADA qui conditionne l’accès aux conditions d’accueil : si le demandeur l’accepte, il peut toucher l’allocation temporaire d’attente avant d’avoir éventuellement une place en CADA. S’il la refuse, il est privé de toute ressource et ne peut demander par la suite une place d’hébergement.
Pourtant le demandeur ne se voit pas immédiatement proposer une place mais doit se rendre auprès de l’ANAEM ou d’associations gérant des plates-formes d’accueil pour faire réellement enregistrer sa demande. Alors que jusqu’à alors, ses demandes étaient faites par le biais de formulaires écrits transmis à des commission d’admission, depuis l’installation du logiciel, les données sont saisies dans le logiciel. Dans le même temps, les Centres d’accueil doivent, dès qu’une personne ou famille quitte leur structure, indiquer sur le logiciel, les caractéristiques du logement devenu vacant.
Avec ce système, on peut en théorie, confronter les caractéristiques de la demande et celles de la place vacante et ainsi orienter le demandeur vers le logement, même s’il se trouve à l’autre bout du pays. Dans la réalité, la décision d’admettre un demandeur dans un CADA est un phénomène complexe qui tient compte de quote-parts départementaux, régionaux ou nationaux qui ont été fixées par une circulaire du 3 mai 2007 et de priorités d’hébergement (les familles et les malades étant placés en tête).
Un outil de contrôle des demandeurs d’asile?
Mais le logiciel peut apparaître aussi comme un outil de contrôle des personnes accueillies. En effet, dès son admission dans un centre, chaque cellule familiale fait l’objet d’une fiche individuelle avec des onglets thématiques qui couvre les différents aspects de sa vie : qu’il s’agisse du séjour (les CADA doivent saisir le numéro étranger (N°AGDREF) la date de délivrance et d’expiration du récépissé), du suivi sanitaire et social (existence d’un problème de santé, adresse du médecin traitant, dates d’affiliation à la CMU puis à la sécurité sociale avec le numéro de sécurité sociale , date de visite médicale et état de vaccinations et un champ libre de commentaires), du suivi de la procédure d’asile (date d’envoi du dossier OFPRA , date d’enregistrement, date de la décision de l’OFPRA, date d’envoi d’un recours, date de son enregistrement, date d’audience si le demandeur bénéficie de l’aide juridictionnelle, nom de l’avocat, situation après la décision de la CNDA) et enfin sur la sortie du centre (le CADA doit indiquer la date de sortie et la modalité (logement social, logement ALT, CPH, retour Anaem, exclusion, 115, solution individuelle). Y sont donc inscrites des informations contenues dans le fichier des étrangers (AGDREF), dans le fichier de l’OFPRA (INEREC) dont le rapprochement est pourtant interdit. En outre, était demandé le numéro de sécurité sociale qui est le numéro national d’identification. Enfin, l’indication de l’adresse réelle (et le numéro de chambre pour l’hébergement collectif) peut laisser penser que cette information pourrait permettre au service des préfectures d’interpeller les déboutés qui séjourneraient dans le centre au-delà du délai d’un mois prévu par la réglementation. L’inquiétude a grandi qu’en mars 2008, le ministère a annoncé que l’ensemble de ces données seraient accessible à tous les utilisateurs.
Des tableaux de bord qui permettent un contrôle des centres?.
La somme des informations recueillies permet automatiquement de créer des tableaux de bord, avec liste d’entrée (qui peut être distribuée par composition familiale ou nationalité), de sortie (avec distribution des modalités de sortie), des présents (avec nationalité, étape de la procédure et durée de séjour) et des indicateurs de gestion (taux d’occupation, taux de présence de réfugiés ou de déboutés, durée de séjour pour réfugiés ou pour déboutés).
Autant d’indicateurs utiles pour les services de l’ANAEM et du ministère pour voir la situation de chaque centre et vérifier le nombre de « personnes indues » et envisager des mesures financières (réduction de la dotation annuelle décrite par la note d’instruction du 16 janvier 2006 ou par la circulaire non publié du 24 juillet 2008 en PDF) ou un retrait d’habilitation (prévue par la loi mais décrit par le ministère comme un moyen ultime).
Face à l’évolution du logiciel, des associations gestionnaires ont interrogé la CNIL sur la compatibilité avec la confidentialité des informations recueillies qui constitue selon la loi. un droit fondamental des usagers, alors qu’aucune information sur le recueil des données n’était faite aux principaux intéressés, contrairement à la loi informatique et libertés.
La CNIL fait rectifier DN@
- les Service du 1er accueil, les plateformes et les CADA auraient accès à l’ensemble des données nominatives qu’ils renseignent ;
- Les services déconcentrés compétents (DRASS, DDASS, Préfectures, ANAEM en région) n’auraient qu’un accès limité aux données nominatives : ainsi, ils n’auraient pas accès aux documents administratifs, aux date d’audience OFPRA et CNDA, aux décisions OFPRA et CNDA, aux demandes d’aide juridictionnelle, à la date de validité de la CMU/AME, à l’immatriculation sécurité sociale, aux renseignements sur les vaccinations, aux dates des visites médicales et à la situation sociale ;
Les service nationaux de l’asile et le siège de l’ANAEM connaîtront les mêmes restrictions d’accès que les services déconcentrés et n’auraient accès en outre qu’à des données agrégées et anonymisées à des fins statistiques.
document-acrobat.1234705083.pdf
Restent deux points problématiques : l’information des demandeurs d’asile qui n’est toujours pas faite et la saisine de l’adresse réelle du demandeur qui serait accessible aux services centraux de l’Etat. Pourtant les nouvelles dispositions législatives sur la domiciliation prévoit que les centres d’hébergement et les CADA peuvent être agréés comme organisme de domiciliation (article D.264-9 CASF) et cela est suffisant au regard de la législation pour les étrangers (articles R.321-8 et R.742-4 du CESEDA).
L’ANAEM doit donc revoir sa copie et devrait prochainement prendre une décision, publiée au bulletin officiel du ministère de l’immigration avec l’avis de la CNIL. Et enfin officialiser la généralisation du logiciel revu et corrigé, en 2009, alors que son implantation était déclarée comme imminente en 2005…
Il est possible que des associations la conteste devant les juridictions tant ce logiciel, même amendé, peut être préoccupant quant au respect du droit d’asile.