Contes de l'ordi sacré : Marsupilania la Vaillante 3

Publié le 13 février 2009 par Porky

Episode 3 : Où l’on fait connaissance de la Belle Monogramme

Le volant de son fier destrier en main, Marsupilania la Vaillante n’en menait pas large. Uno était certes une monture rapide, sûre et généralement obéissante mais parfois, il en faisait en peu à sa tête et notre héroïne se crut plusieurs fois confrontée à l’heure de sa dernière heure. L’autoroute était surchargée et Marsupilania n’osait même plus allumer une cigarette, parce que chaque fois qu’elle faisait un geste un peu brusque, une monture mécanique se retrouvait les quatre fers en l’air sur le bord de l’autoroute. Ca finissait pas devenir stressant, ces accidents que le pouvoir d’une sœur Halliwell provoquait. Et tout en essayant de maintenir Uno dans le droit chemin, notre héroïne réfléchissait : la voix avait assuré que le chemin serait balisé, mais pour l’instant, il n’y avait aucune indication précise. Comment allait-elle trouver la route du domaine enchanté où le Prince Logarithme se morfondait ? Et comment rencontrerait-elle cette « Belle Monogramme » (l’utilisation adéquate de cet adjectif était encore à prouver), cette énigmatique co-héroïne qui, si elle avait bien compris les paroles de la voix, risquait de prendre sa place dans cette histoire et de se comporter comme la véritable héroïne ? « Tudieu ! pensait Marsupilania, un peu énervée. Ce conte a été écrit pour moi. Je ne cèderai pas la place. Comme mon Chevalier des Croisades, je résisterai à tout. Elle ne sera dans cette histoire que ma Sancha Penso. J’ai dit. »

Ainsi songeait Marsupilania la Vaillante, que son rapide destrier entraînait vers son destin à une vitesse folle de cinquante à l’heure. L’asphalte s’allongeait devant elle, noir et nu. Tellement nu qu’elle eut une vision inconvenante et faillit finir dans le fossé. Alors qu’Uno commençait à donner des signes de fatigue parce qu’il avait besoin de prendre un peu de nourriture, la Vaillante avisa tout à coup une énorme pancarte sur laquelle était inscrite en lettres de feu la phrase suivante : Prochaine sortie, domaine enchanté de Logarithme, tâche de ne pas la rater, banane !  Et en plus petit, mais en caractères gras, comme sur l’écran de son ordi sacré : La Belle Monogramme sera sur ta droite en fin de bretelle de sortie, avec sa robe de Princesse de conte de fée, son chapeau tyrolien et son jambon. Si tu la loupes, tu es la reine des cloches. 

Marsupilania la Vaillante poussa un soupir de soulagement. Enfin, le Ciel se manifestait ! On ne l’avait pas abandonnée à son triste sort. Elle accéléra, au risque de rater la sortie. Mais Uno veillait : il se dirigea de lui-même vers la bretelle et après avoir traversé une fête foraine, Marsupilania arriva au péage, qu’elle paya sans (trop) sourciller. Puis elle se dirigea vers l’aire de stationnement qu’elle voyait sur sa droite. Plantée sur le bitume, un chapeau tyrolien sur la tête et un jambon à la main, une jeune femme vêtue d’une robe de Princesse de conte de fée attendait devant une pancarte aux caractères impressionnants : « Je suis la Belle Monogramme. J’attends Marsupilania, qu’elle se fasse connaître en descendant de son coursier et en faisant devant moi le grand écart. »

« Le grand écart, peste, elle y va fort ! pensa Marsupilania en rangeant Uno devant la jeune femme. La chandelle, je ne dis pas, mais ça ! » Elle jeta un regard à Monogramme et fit la moue. « Oui, elle est belle, certes. Mais il n’y a pas de quoi non plus en tomber à la renverse. » Elle descendit de sa monture. Monogramme la dévisagea sans aménité. « Je suis Marsupilania la Vaillante », dit notre héroïne. « Prouve-le, dit Monogramme. Le grand écart, vite ! » Dame Vaillante n’appréciait guère cet ultimatum. Elle était bien incapable de faire ce genre de gymnastique, eu égard aux nombres impressionnants de mois qu’elle avait passés dans son fauteuil. « Cette Belle Monogramme est bien prétentieuse, se dit-elle. Je vais lui rabattre vite fait son caquet. »

« Le grand écart ? répéta-t-elle avec un rire qui s’acheva en quinte de toux. Tu rêves ! J’ai les pouvoirs des sœurs Halliwell et j’ai des prémonitions. La dernière en date te concerne : j’ai vu arriver à grande vitesse une tarte qui allait s’abattre sur ton beau visage si tu exigeais de moi le moindre effort physique ! » « Une tarte ! s’exclama Monogramme, soudain troublée. Serais-tu pâtissière ? » « J’ai quelques dons dans ce domaine, répondit notre héroïne avec un sourire un peu fat. Mais cette tarte-là ne relève pas de l’artisanat alimentaire. »

La belle Monogramme leva le jambon qu’elle tenait à la main et le pointa vers son interlocutrice qui faillit vomir en voyant à quel point il était décomposé. « Ne prononce pas le mot « tarte » devant moi, exigea Monogramme. Il évoque des sensations trop étranges ! » « Et toi, flanque ce jambon à la poubelle, il pue atrocement ! » répliqua Marsupilania en se pinçant le nez. « C’est ta faute, aussi ! gronda Monogramme. Si tu n’avais pas glandé de façon éhontée sur cette autoroute, mon jambon fût encore consommable ! Ca fait deux jours que je t’attends et par cette chaleur, t’imagines-tu que le porc reste en l’état ? » Et d’un geste élégant, elle lança le jambon vers la poubelle qui ouvrait grand sa bouche, à cent mètres de là.

« Quel exploit magnifique ! dit Marsupilania en battant des mains. Tu es une tireuse experte ! Je retire ma tarte. » « Encore ce mot honni ! cria Monogramme. Je frémis rien qu’à l’entendre. Je me demande si, dans une existence antérieure, je n’ai pas été vendeuse en pâtisserie. Cela expliquerait ma réaction. Qu’en penses-tu ? » « Rien, fit Marsupilania. Monte sur Uno. Si nous voulons arriver à temps dans le domaine enchanté, nous avons intérêt à passer à la vitesse supérieure. »

La Belle Monogramme considéra Uno d’un œil assez critique. « Tu veux vraiment que je pose mon distingué postérieur sur ça ? » demanda-t-elle, choquée. « On ne m’avait pas dit qu’elle serait aussi emmerdante, songea notre héroïne, envahie tout à coup par un besoin pressant de se montrer vulgaire. Ni bien atteinte sur le plan psychique. Mais baste ! Faisons avec ce que nous avons. C’est ça ou courir à pied derrière Uno, répliqua-t-elle à voix haute. Choisis. » Avec un soupir qui en disait long, Monogramme se jucha sur le siège d’un mouvement gracieux tout en rejetant en arrière ses longs cheveux. « Et bien, puisqu’il le faut, au galop ! s’écria-t-elle. Que la sorcière prenne garde, nous arrivons ! »

Et dans un nuage de poussière, Uno prit sa course tandis que Marsupilania la Vaillante, pour le faire aller plus vite, le cinglait de virulents « Fiat ! Fiat ! Fiat ! » que reprenait Monogramme de sa douce voix de Princesse de conte de fée.

(Les deux héroïnes vont-elles parvenir enfin au domaine de Logarithme ? Que deviennent donc l’horrible Gudule et son Servile Séide ? Ce dernier va-t-il dresser un piège immonde à nos charmantes héroïnes ? Le prochain épisode vous le dira peut-être…)