Les fans de Clint peuvent se frotter les mains : Gran Torino est le deuxième Eastwood à débarquer chez nous en à peine trois mois, par la magie des sorties différées. Frottage de mains supplémentaires : le revoici qui fait l'acteur, lui qu'on n'avait pas vu devant la caméra depuis Million dollar baby. Mais si c'est toujours un immense plaisir que de voir évoluer ce gigantesque acteur, il faut bien se rendre à l'évidence : Clint Eastwood vieillit, lentement mais sûrement, perdant peu à peu son punch d'antan. Gran Torino est en effet l'oeuvre d'un papy commençant à perdre la boule, et radotant sans arrêt les mêmes histoires, les mêmes lubies, le même cinéma. Comme le baroud d'honneur superflu d'un Dirty Harry refusant d'admettre qu'il est mûr pour l'hospice.
L'histoire est d'une simplicité enfantine : un veuf raciste et dur à cuire se retrouve contraint de protéger ses voisins asiatiques de la vilaine bande qui leur veut du mal. Auto-défense et tolérance mielleuse sont donc au menu de ce drame beaucoup trop schématique qui peine à masquer son manichéisme total. Ce Walt Kowalski a beau être méchant avec ses enfants, cracher de gros glaviots de cowboy et balancer des blagues racistes, il finira par se faire amadouer par ses gentils voisins et payer de sa personne pour les défendre. Rien de plus. On dirait un spot pour la campagne de John McCain : « on n'aime pas trop les étrangers, mais on est prêts à sortir nos fusils popur les défendre si d'autres étrangers les attaquent ». Si quelqu'un avait encore un doute sur les opinions politiques du monsieur, c'est désormais plus clair que clair : il est républicain tendance réac.
Plus agaçant encore, Gran Torino fait apparaître une faille dans une bonne partie de la filmographie (très recommandable au demeurant) du bonhomme : une fascination carrément débordante pour les martyrs en tous genres, ces héros perturbés par des armées de gens médiocres, et dont le destin est si tragique qu'on ne pourra que les plaindre jusqu'à leur dernier souffle. Une complaisance qui saute d'autant plus aux yeux lorsque le scénario est un peu faiblard. On se rappelle la dernière partie de Million dollar baby, pure hagiographie mêlant la famille consanguine de la boxeuse comateuse, la rage mal contenue du coach, et une séance d'euthanasie faussement digne. Sans atteindre de telles extrémités, Gran Torino reproduit ce schéma, les personnages secondaires et les situations ne semblent avoir été écrits que pour glorifier ce mec aux défauts finalement minimes - c'est vrai quoi, il est raciste et méprise l'humanité entière, mais comme il le fait avec humour, ça passe. En dépit de quelques scènes volontairement drôles (Clint renvoyant ses gosses à leur médiocrité avec un minimum de mots), Gran Torino apparaît comme un sérieux dérapage dans la carrière du réalisateur, même si on est évidemment ravi de voir que l'acteur n'est pas mort. Son jeu n'a en effet pas pris une ride, et comble plutôt bien l'ennui créé par ce film sans rythme ni attrait.
4/10
(sortie le