Nous avions déjà parlé du génial Ernesto Neto ici ; en 2006 il envahit le Panthéon de Paris d'un aménagement tentaculaire, Léviathan Thot. Gardez en tête l'intitulé : le Léviathan est une créature des mers, terrifiante mais sublime, qui détruira le monde et sera mangée par les justes ; Thot lui est le dieu égyptien du langage, de l'écriture et de l'érudition.
Véritable synesthésie concrète, l'oeuvre physique, le Léviathan, de par ses propriétés cognitives se veut un malin dérèglement du caractère classique et intellectuel de son antre : ses galbes, courbures, et effilements parfumés apparaissent instantanément aphrodisiaques, en partie grâce au contraste avec le strict du cadre, du Thot. Un indice peut-être quant aux intentions de l'esthète : Léviathan fut la pièce centrale des écrits politiques de Thomas “l'homme est un loup pour l'homme” Hobbes, selon laquelle la guerre relève de l'état de nature et ne peut être évitée que par un gouvernement central puissant. Ainsi un hymne à l'amour, le bestial/animal serait-il à distinguer entre les sacs de polystirène ? J'ai lu quelque part le ressenti d'un visiteur auquel la vue de l'installation, une fois isolée des autres stimuli évoquait la synthèse des délices terrestres : souples, les formes lui paraissaient prêtes à onduler, à gonfler, semblables aux organes de la digestion et de la reproduction, sources primitives de tous les plaisirs. Les gazes, les couleurs royales, rappellent par exemple la démarche d'anoblissement du sexe pour en transcender l'obscénité de Kubrick sur Eyes Wide Shut.
Les propriétés mécaniques de l'installation semblent elles aussi signifier, dans l'équilibre fragile qu'elles manifestent afin d'être simplement présentes dans ce haut lieu historique, un appel à la pondération, à la compensation des forces dans leur distribution. Un retour au centre vite déstabilisé par la confrontation de l'hôte et d'un invité devenu parasite, aggrippé à la mémoire, à l'essence alors révélée de son milieu.
Une oeuvre d'art est un coin de la création vu à travers un tempérament disait Zola. Neto, lui, revisite la Création et en fout dans tous les coins. L'Etat, l'ayant adoubé Chevalier des Arts et des Lettres, doit apprécier les calembours référentiels.
Léviathan Thot sera exposé au Musée des Beaux Arts de Nantes du 6 juin au 23 août.