Stéphane Mallarmé habita de 1867 à 1871 Avignon où il fut professeur d’anglais. C’est durant cette période qu’il écrivit ce texte pour le moins étrange et énigmatique intitulé IGITUR. Il s’agit d’un conte fantastique et philosophique dont les personnages, outre le héros éponyme, s’appellent le Rêve, l’Idée, le Hasard, l’Absolu, l’Infini, l’Acte, le Néant.
Ce nom étrange d’Igitur peut être rapproché de Te igitur , première prière quand le prête commence le canon :
c’est le Père que, profondément incliné, le prêtre supplie d’agréer le sacrifice de son Fils par la grâce de ce même Christ.
Quel est le rapport ?
Je n’ai pas de réponse.
Donc Igitur est écrit durant les années où Stéphane Mallarmé habite Avignon. Mais ne sera connu que bien plus tard car ce n’est qu’en 1925 qu’il est publié par son gendre, le docteur Bonniot, qui avait hérité des feuillet enfermés dans une boîte.
Cependant, c’est ce brave Catulle Mendès, qui au retour d’un voyage qu’il avait fait avec Judith Gautier (la fille de Théophile) et Villiers de l’isle-Adam en Prusse chez leur copain Wagner, ils s’étaient arrêtés à Avignon (je ne sais pas où ils se rendaient), chez Mallarmé. Catulle se souvint de nombreuses années après de la lecture qu’il leur fit d’Igitur, à croire qu’il avait été impressionné :
C’est un assez long conte d’Allemagne, une sorte de légende rhénane, qui avait pour titre, -je pense bien ne pas me tromper-Igitur d’Elbenone. Dès les premières lignes je fus épouvanté, et Villiers tantôt me consultait d’un regard furtif, tantôt écarquillait vers le lecteur ses petits yeux gonflés d’effarement.
Le manuscrit d’Igitur se compose d’une cinquantaine ne feuillets de format, d’écriture et de degré très différents. (Ci contre un feuillet de format 19,3 x 29 cm.) Ces feuillets avaient été classés en plusieurs liasses thématiques, les feuillets de chaque liasse, pliés en deux, étant réunis dans le dernier feuillet lui-même plié en deux de façon à former chemise et portant le titre en travers. Pas simple tout ça !
Les titres ? : Le Minuit, Il quitte la chambre, Le Coup de dés, Plusieurs ébauches de la sortie de la chambre, Autre ébauche (de la sortie de la chambre), Vie d’Igitur.
Ce feuillet photographié ici, est l’un des nombreux présentant les plusieurs versions d’un même texte, chaque feuillet étant copieusement raturé et annoté. Je vais retranscrire le début d’une de ces versions :
IL QUITTE LA CHAMBRE ET SE PERD DANS LES ESCALIERS (AU LIEU DE DESCENDRE À CHEVAL SUR LA RAMPE)
L’ombre disparue en l’obscurité, la Nuit resta avec une douteuse perception de pendule qui va s’éteindre et expirer en lui ; mais à ce qui luit et va, expirant en soi, s’éteindre, elle se sait qui le porte encore ; donc, c’est d’elle ! que, nul doute, était le battement ouï, dont le bruit total et dénué à jamais tomba en son passé.
Pas très clair, tout ça.
AUTRE ÉBAUCHE
L’ombre redevenue obscurité, la Nuit demeura avec une perception douteuse de pendule qui va expirer en la perception de lui ; mais à ce qui luit et va probablement expirer en soi, elle se voit encore, qui le porte et c’est donc d’elle que venait le battement ouï, dont le bruit total tombe à jamais dans le passé.
Je vais arrêter là les différentes versions d’un même texte. Car on peut y passer la nuit. Le mystère d’Igitur réside non seulement dans le côté obscur du conte mais aussi dans le fait que Mallarmé n’en a jamais donné de version définitive préférant entasser, mettre de côté, peut-être oublier ces feuillets.
Une exposition à La Chartreuse de Villeneuve-les-Avignon permet de cheminer dans ce mystère avec des photomontages, vidéos et objet d’une artiste plasticienne, Joëlle Molina. Elle a cherché des codes, a fait des interprétations de ce texte, propose des pistes originales pour l’aborder.
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