En un remarquable documentaire de 115 minutes, Helke Misselwitz donne la parole aux femmes de la RDA, à celles qui normalement ne la prenaient pas.
Hillu débit d'une traite sa vie de famille avec mariage et remariage; Liselotte présente fièrement l'école de danse qu'elle a réouvert après la guerre; Christiane regrette que la société n'accepte pas le handicap de sa fille et la rejette comme si elle était elle-même anormale; deux ados partagent leurs rêves de jeunes anarchistes avant de se retrouver en centre de rééducation; quatre petites demoiselles partagent leurs vues sur le mariage; etc. Chacune à leur manière, les femmes rencontrées témoignent d'une époque, d'un milieu, d'un métier.
De l'une à l'autre, le voyage se fait en train, laissant entrevoir des scènes de vies quotidiennes, des bouts de RDA. Ici une "chambre de mariés" pour les 750 ans de Berlin, capitale de la RDA; là une émission de Aktuelle Kamera - chaîne d'informations officielle de RDA - sur la journée internationale de la femme; ou encore un drive-in avec Trabants et film culte "la légende de Paul et Paula".
Impossible de s'ennuyer, la manière dont la réalisatrice, Helke Misselwitz, mène ses interviews est très spontanée et grandit les femmes rencontrées dans la simplicité de leurs quotidiens.
TROIS QUESTIONS A HELKE MISSELWITZ, REALISATRICE DE WINTER ADE (RDA, 1988)
Dans votre film, vous parcourez l'Allemagne de l'Est pour rencontrer différentes femmes in situ. Quels sont leurs points communs?
Helke Misselwitz - Leur force de caractère, quelle que soit leur situation. Je pense que c'est assez représentatif des femmes 'made in GDR'. Avant la réunification, 90% des femmes travaillaient, ce qui leur apportait une certaine responsabilité, un sentiment d'utilité dans la société. Christiane qui travaille à l'usine de briquettes dégage bien ce sentiment: elle a conscience que sans son pénible travail, l'usine pourrait exploser. Les dames de l'usine de Sassnitz, celles qui mettent les harengs en boîtes, montrent aussi que chacun participe au bon fonctionnement de la société. Dans le film, toutes les femmes travaillent et la plupart sont divorcées. Ça aussi, c'était permis car le travail assurait aux femmes de RDA une certaine indépendance financière. Seule Margareth, l'octogénaire qui fête ses 60 ans de mariage, témoigne d'un autre temps. Dès le début de notre rencontre d'ailleurs, elle m'avait avoué qu'elle regrettait sa génération et qu'elle nous enviait de pouvoir élever seules nos enfants.
Des images de trains et de rails s'interposent régulièrement entre les différentes séquences du film. Quelle est la signification de ce fil rouge?
Helke Misselwitz - Ces trains, ces gares, ces rails, ce sont à la fois des lieux de rencontres, d'observation et des moyens de transport. Au départ, j'avais choisi cette symbolique pour une raison personnelle: je suis née en 1947 dans une ambulance, devant un passage à niveau fermé. Les premières images du film sont imprégnées de cette dimension autobiographique. Tout comme la fin du film, d'ailleurs: la scène avec le bateau est issue de mes souvenirs d'adolescente, lorsque nous prenions le ferry pour la Suède. C'était étrange, le ferry s'approchait des côtes suédoises, nous faisions signe aux Suédois, puis demi-tour. Ça aussi, c'était l'Allemagne de l'Est. Les dernières images du film représentent des rails coupés à bord de quai, donnant sur la mer. C'est pour moi le symbole d'une ouverture, d'une perspective d'avenir. Contrairement aux barrières baissées du passage à niveau du début. C'est une manière de suggérer qu'il est possible de quitter les rails sur lesquels on est pour appréhender autre chose.
Deux ans et demi de tournage et une colombe d'argent au festival du film de Leipzig en 1988 (*), très contestée. Avez-vous réalisé un film politique?
Helke Misselwitz - Je tiens d'abord à préciser que Winter adé n'a rien d'une prophétie. En 1988, nous ne pouvions pas imaginer la fin de la RDA. Nous espérions des changements, de grands changements, ça oui, c'est vrai. On le voit d'ailleurs dès le premier témoignage, celui d'Hillu qui décrit l'absurdité d'une cérémonie officielle et de ses rituels, qui se demande dans quel régime exactement elle vit, s'il ne s'agit pas en fait d'une sorte de monarchie. Dans ce sens, le film est critique, oui. A l'époque, Winter adé était une sorte de ventile qui amenait les gens à parler de leur quotidien. Avant la chute du Mur, 500 000 personnes ont pu voir le film.
Séances Berlinale
(*) 31. Leipziger Dokumentar und Kurzfilmwoche