PRÉLUDE
Plusieurs semaines avant l'événement, les communicants entrent en piste. Invitations publiques ou propositions d'entretiens se succèdent. Du ministre des finances de Bahreïn au patron de la start-up californienne, les journalistes n'ont que l'embarras du choix. La principale difficulté est alors d'organiser son planning et d'obtenir des rendez-vous avec d'autres personnalités que celles qui vous sollicitent.
DROITS D'ENTRÉE
Pour un dirigeant d'entreprise, participer à Davos n'est pas donné. Théoriquement, seuls les patrons des 1 000 premières entreprises mondiales y ont accès. Encore faut-il qu'ils déboursent 42 500 francs suisses (28 000 euros). 97 entreprises "partenaires" n'hésitent pas, elles, à débourser 500 000 francs suisses (340 000 euros) par an pour disposer de cinq entrées et, généralement, pour figurer parmi les intervenants. Les responsables de la société civile, les hommes politiques et les journalistes ne paient pas mais ont évidemment besoin d'être invités et accrédités. En 2009, 2 600 personnes se sont inscrites : 1 400 dirigeants d'entreprises, 41 chefs d'Etat et de gouvernement, 60 ministres, 510 représentants de la société civile (dont 225 media leaders qui ont accès à toutes les conférences contrairement aux 225 simples reporters).
HÉBERGEMENT
Participer au forum nécessite de s'inscrire dès l'été précédent et réserver au moins cinq nuits d'hôtel (en passant obligatoirement par Publicis, grand organisateur de l'événement). En temps normal, la principale préoccupation des dirigeants est d'avoir une chambre dans les hôtels "où il faut être", le nec plus ultra étant le Belvedere, le cinq-étoiles sur le toit duquel des militaires montent la garde jour et nuit. Cette année, vu que certaines entreprises stars de Davos, les banques américaines notamment, ont fait faillite entre-temps, les préoccupations sont légèrement différentes.
SÉCURITÉ
A pied, en motoneige ou en hélicoptère, 4 500 soldats suisses, parfois aidés par des Autrichiens, assurent la sécurité des participants. Ceux-ci doivent tous passer sous un portique de sécurité à l'entrée de chaque bâtiment : on a vu un commissaire européen devoir vider sa trousse à maquillage. Même les montres passent aux rayons X. La visite d'un vice-président américain - Dick Cheney - au début de la guerre d'Irak est restée dans les annales. Celui-ci était venu dans un hélicoptère (comme beaucoup) de l'US Army protégé en permanence... par un second hélicoptère qui n'a pas cessé de tourner autour du forum pendant son intervention à la tribune officielle. Cette année, selon le quotidien suisse Le Temps, la police genevoise a demandé à la Confédération de suspendre temporairement les accords de Schengen pour lui permettre de rétablir, durant le forum, les contrôles systématiques aux frontières.
LE IN
Du mercredi matin au samedi soir, le programme recense cette année 218 conférences, réparties dans une dizaine de salles et dans les différents hôtels de la station. Dès 8 h 30 ce vendredi 30 janvier, il était possible d'aller écouter Jean-Claude Trichet (BCE) et Henry Kravis (fondateur du fonds d'investissement Kohlberg Kravis Roberts) discuter de l'avenir du système financier mondial puis d'enchaîner débat sur débat jusqu'à la rencontre autour de deux Prix Nobel d'économie, Edmund Phelps et Joseph Stiglitz, programmée de 22 h 30 à 23 h 30.
L'économie ne constitue qu'une des thématiques. La diplomatie est également un volet important de Davos. Il se murmure que le rêve de Klaus Schwab, fondateur du forum il y a trente-neuf ans, est de décrocher le Nobel de la paix. Cette année, un des événements marquants a été le discours de Vladimir Poutine, non pas présenté comme premier ministre mais, nuance, comme "président du gouvernement russe". C'est plus chic. Autre moment fort, la colère du premier ministre turc, Recep Erdogan, qui a quitté un débat sur Gaza avant la fin, furieux d'avoir été interrompu par le journaliste-animateur dans sa réponse à un Shimon Pérès très offensif. Plus discrètement, en invitant Saif Al-Islam Khadafi, le "fils modéré" du leader libyen, le forum a permis au gouvernement suisse de renouer le dialogue avec Tripoli, gelé depuis l'arrestation l'été dernier du "fils terrible", Hannibal Khadafi, dénoncé pour maltraitance par les domestiques de sa résidence helvétique.
Outre ces deux thèmes incontournables, le forum multiplie les échanges sur la philanthropie, le management, la science, la culture, autant de sujets destinés à éclairer les participants sur les grands enjeux à venir mais aussi à satisfaire les sponsors. On peut ainsi écouter le patron de Renault sur la voiture électrique, Bill Gates sur la faim dans le monde, Paulo Coelho sur la culture, David Servan-Schreiber sur le cancer, Matthieu Ricard et Tony Blair sur la foi...
Les organisateurs ne détestent pas la provocation. L'année dernière, une session se déroulait dans l'obscurité la plus totale (prémonitoire ?). Cette année, le metteur en scène britannique Richard Olivier, fils de l'acteur Laurence Olivier, propose deux soirées. Au programme : Shakespeare et le leadership. Plus précisément, les leçons à tirer de Macbeth pour un dirigeant du XXIe siècle. Ceux qui le souhaitent peuvent aussi aller s'immerger dans un camp de réfugiés reconstitué. C'est ainsi que Robert Pollet, patron de Gucci, s'est retrouvé durant une heure dans la peau de Mustapha, réfugié à la recherche de ses six enfants. "Sans son BlackBerry" précise le Wall Street Journal qui relate l'expérience menée sous l'égide du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.
LE OFF
A cet emploi du temps officiel, le "Davos man" peut ajouter les rencontres off. Pas seulement les tête-à-tête mais les conférences privées. Du patron de Geox, qui se propose de parler de l'emploi en Italie ("no country for young men"), au petit déjeuner organisé par le Pakistan, consacré à la "guerre contre le terrorisme", en passant par une discussion avec le président ukrainien, Viktor Iouchtchenko, et George Soros, présenté comme un "global philantropist and financier", les congressistes n'ont que l'embarras du choix.
LES À-CÔTÉS
Tout n'est pas public à Davos. Loin de là. Plusieurs professions se rencontrent loin des regards, dans un salon cossu de l'hôtel Belvédère, sous haute surveillance. Pour quelques dizaines de milliers d'euros supplémentaires, le petit monde de l'énergie organise ainsi chaque année un " energy summit" où Total, GDF Suez, EDF, Areva, Gazprom, des membres de l'OPEP et autres échangent loin des journalistes... et des autorités de la concurrence.
LES SOIRÉES
Elles participent au mythe de Davos. Celles organisées par les Russes dans les années 1990 alimentent encore les discussions, surtout parmi les amateurs de caviar. La "Bollywood Music Nite" fait toujours tourner les têtes et les fans du Net se pressent à la "Google after Hours". Cette année, le Mexique est entré dans la danse. Pourtant, de l'avis des spécialistes, la consommation de champagne aurait diminué de 30 % en 2009. La soirée Nasdaq était, de l'avis d'une participante, lugubre et celle organisée par le cabinet d'audits PricewaterhouseCoopers, impliqué dans le scandale Satyam en Inde, quasi déserte. Allez savoir pourquoi ! Certaines entreprises, comme Goldman Sachs, ont préféré annuler leur réception. Reste la soirée officielle, organisée par un pays le samedi soir dans l'enceinte du forum. En 2008, la France avait sorti son chéquier et avait (avec succès) mis en avant des talents étrangers qui s'épanouissaient dans notre pays. Malheureusement, l'affaire Kerviel avait gâché la fête. Cette année, c'est le Maroc qui reçoit. En guise d'invitation, les 2 600 participants ont reçu, chez eux, la semaine précédant le forum, un superbe livre de photos sur le royaume chérifien, emballé dans une boîte en cuir.
L'APRÈS-DAVOS
"Entreprise très rentable qui se donne des objectifs d'intérêt général pour passer pour une ONG", selon le mot vachard d'un responsable politique, le Forum économique mondial multiplie désormais les forums régionaux : Dubaï, Dalian, Rio, Delhi, Séoul... pas un trimestre ne se passe sans que ses 350 salariés n'organisent un événement et tissent leur toile pour que la prochaine manifestation-phare, en Suisse, soit un succès. Quelle que soit la conjoncture économique.
Frédéric Lemaître Article paru dans l'édition du 01.02.09