Peut-on soigner la démocratie ?

Publié le 23 août 2007 par Jlhuss
‌ à la participaline ?

Par Chambolle

L’exercice de la démocratie est difficile. Le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, est un de ces idéaux dont Marx disait qu’ils ne se réalisent qu’en se pervertissant. Les vices du système sont connus. Il y a une distorsion forte entre la sociologie du pays et celle du corps de ses représentants. Entre deux élections, les citoyens « de base » peinent à se faire entendre pendant que des lobbys, parfois très minoritaires, mais disposant de moyens de pressions importants (financiers, médiatiques et plus rarement syndicaux) parviennent à imposer des règles qui leur sont favorables. Le jeu du cumul des mandats dans l’espace et dans le temps transforme les plus influents des élus, qu’ils en aient ou non la volonté, en professionnels attachés, comme les autres catégories sociales, à la défense et à l’extension de leurs avantages acquis. Ces travers et quelques autres fournissent aux professeurs de science politique un inépuisable réservoir de sujets de thèses. Ils offrent aussi aux adversaires de la démocratie des arguments qui, pour être ressassés de génération en génération, n’en produisent pas moins un certain effet voire un effet certain quand le fossé qui sépare le peuple de ses élites est devenu un précipice.

Pour parer ces difficultés, les propositions ne manquent pas : dernière en date, l’instauration, à côté de la démocratie représentative, d’une démocratie dite participative, ou de proximité, censée permettre aux citoyens d’intervenir directement dans la conduite de leurs affaires. Le concept n’est pas aussi neuf qu’il y paraît. Des sections révolutionnaires, aux assemblées de la Commune puis aux premiers soviets, on retrouve le même, louable, souci, de permettre à tous d’intervenir dans le débat public pour approuver, infléchir ou s’opposer aux décisions du pouvoir en place. Hélas, comme d’habitude, les choses se compliquent lorsqu’on passe de la théorie à la pratique. J’ai, sur le sujet, une modeste expérience personnelle. Elu municipal d’une ville moyenne, je participe depuis six ans aux travaux d’un des comités de quartier installés après la dernière élection municipale an nom de la démocratie de proximité. Ces institutions fonctionnent selon des règles simples et, assez démocratiques. Deux fois par an, l’ensemble des habitants du secteur concerné est invité à participer à une assemblée générale où peuvent être (et sont souvent) abordés les sujets les plus divers (stationnement, sécurité, voirie, écoles…). Au cours de cette réunion, les personnes présentes désignent les membres du conseil de quartier qui se réunit en moyenne une fois par mois, en présence de deux élus municipaux. Le mandat des conseillers de quartier est de deux ans. Ils peuvent être réélus trois fois consécutives. Chacun de ces conseils a un président et un délégué à la commission des quartiers. Cette dernière instance gère, dans le cadre de son budget de 120 000 €, les projets présentés par les divers conseils. Elle s’intéresse également à des actions conduites au niveau de la ville sur lesquelles elle peut demander à entendre les responsables concernés. L ‘accompagnement administratif de ces structures mobilise des agents de la ville à hauteur de deux équivalents temps plein.

Dans l’absolu les conditions sont donc réunies pour que chaque citoyen puisse faire valoir son point de vue. Hors que constate-t-on dans la pratique ? Tout d’abord que les assemblées de quartier ne réunissent qu’une faible proportion (au mieux 5%) des habitants concernés. Ensuite que la composition des conseils qu’elles élisent tend à se rapprocher du modèle dominant (plus d’hommes que de femmes, peu de jeunes et de personnes travaillant dans le secteur privé). Enfin que, coincés entre l’exécutif municipal et la population, il leur est difficile de définir une ligne d’action équilibrée entre opposition bornée et approbation béate. J’étais, au départ, défavorable à la mise en place de cette mécanique institutionnelle dont je pensais qu’elle alourdirait inutilement des processus de prise de décision déjà passablement longs et compliqués. J’ai changé d’avis depuis, parce qu’il s’est avéré qu’en dépit de leurs imperfections, ces instances constituent un assez efficace dispositif d’alerte et de proposition.  En outre, elles peuvent constituer pour un certain nombre de personnes un premier pas vers un engagement plus affirmé dans la vie de la cité et elles obligent élus et fonctionnaires municipaux à mieux prendre en compte des préoccupations matérielles auparavant ressenties comme un peu secondaires ce qui n’est pas un mince acquis.

Reste que je vois mal, l’intérêt de transférer ce mode de fonctionnement, assez bien adapté à l‘action municipale, aux autres échelons de notre vie politique. Nous connaissons déjà  divers comités d’experts et de sages qui n’ont d’autre utilité que de permettre au pouvoir politique de se défausser de ses responsabilités et rendent plus opaque encore le fonctionnement des organismes qu’ils sont censés contrôler. La multiplication et l’enchevêtrement des niveaux de responsabilité (commune, intercommunalité, département, région, nation, union européenne) de notre administration compliquent encore les choses. L’ajout d’instances supplémentaires dont les compétences seraient incertaines et la légitimité douteuse ne ferait qu’aggraver une situation suffisamment difficile. Plutôt que de  nouveaux comités Théodule ce dont notre démocratie a besoin c’est de simplification administrative, trois niveaux local, régional et national suffisant largement, de contre-pouvoirs associatifs ou syndicaux responsables et indépendants et, surtout, de citoyens éclairés ce qui suppose une éducation de grande qualité qui ne borne pas ses ambitions à l’utilitarisme économique et des médias indépendants et courageux. Ecrivant cela j’ai bien conscience de céder à la tentation de l’utopie tout en enfonçant quelques portes largement ouvertes, mais « le pire des régimes à l’exception de tous les autres » mérite bien qu’on s’interroge, fut-ce de façon incomplète et imparfaite, sur les conditions de sa survie dans un monde où il demeure l’exception.

Chambolle