Les morts, dans l’argot du Conservatoire, ce sont les élèves qui n’ont pas été reçus au diplôme. Ceux-là sont secrètement honorés par Christian Boltanski dans une oeuvre secrète, cachée, dont nul ne parle, qui n’est mentionnée nulle part. L’artiste ne souhaite pas qu’on la visite trop et seuls de petits groupes obtiennent parfois l’autorisation. Pas de photographies permises, bien sûr : les deux illustrant ce billet proviennent de deux livres, la monographie de Lynn Gumpert sur Boltanski et L’art à ciel ouvert de Caroline Cros et Laurent Le Bon, livres où cette installation est montrée à la sauvette, mais pas mentionnée dans le texte. Et comme Christian Boltanski est représenté par l’ADAGP, ces deux photos seront ôtées dans un mois : à bon entendeur, salut !
La première salle est couverte de photographies très agrandies d’élèves et de professeurs du Conservatoire dans ses anciens locaux rue de Madrid, il y a environ 50 ans. Il y règne ce parfum bien particulier aux installations pénombreuses de Boltanski, ce flottement de fantômes mémoriels, ici souvent avec les attributs de leur métier, instruments ou tutus, et, souvent aussi sans tête : seul se voit le corps musical, dansant, acteur. Mais le tout est beaucoup moins éclairé que dans la photo ci-contre, qui date sans doute de l’inauguration.
La pièce suivante reprend des photos de l’ancien Conservatoire, mais les installe sur des étagères garnis de draps blancs, dans un décor funéraire; l’obscurité est telle que les visages sont à peine visibles, comme effacés par le temps, par la mort.
La dernière salle est dans l’obscurité quasi totale. Elle est garnie d’étagères qui semblent être des catafalques. On soulève le couvercle de ces pseudo cercueils et, avec une lampe torche, on découvre les réponses à l’appel d’offres du concours d’architecture gagné par Portzamparc : tous ses concurrents malheureux sont là, dans le royaume des morts. C’est la partie la plus novatrice de l’installation. Mais il est vrai qu’on vient ici en sachant à peu près quels codes seront utilisés, quelle mise en scène sera composée. C’est le lieu et le prétexte qui rendent cette installation spécifique, et surtout le mystère entourant cet endroit hors du temps, hors du monde, cette île, tout comme l’île japonaise où nos battements de coeur seront stockés ou la Tasmanie où sont archivées les vidéos de son atelier en direct.
La Réserve du Conservatoire de Musique, 1991, Paris, © Christian Boltanski , ADAGP.