C’est l’histoire d’un jeune garçon imberbe octogénaire dont le père est mort il y a près de vingt-six ans.
Le 10 janvier 2009, on fêtait les quatre-vingts ans de Tintin.
Loin d’avoir une barbe blanche, le héros journaliste reporter belge semble avoir préservé, malgré son grand âge, son aspect imberbe et prépubère aux
drôles de pantalons et à la mèche caractéristique des jeunes têtes blondes.
Quatre-vingts ans en vingt-quatre albums, cela représente un petit
trésor : deux cent millions d’album vendus en cinquante langues. Et pas un album de plus à cause du refus d'exploitation du personnage par les héritiers, au contraire de Spirou ou de
Lucky Luke (mais la marque, en revanche, marche commercialement très bien).
Comme la tintinphilie ne cesse de se développer au grand profit des héritiers de Hergé et comme la tintinologie est une science en permanence en
éveil, la mort du père de Tintin, Hergé, le 3 mars 1983, a suscité quelques polémiques à mon avis bien inutiles.
Racisme
La première concernait le racisme de Tintin, ou plutôt, de son
créateur : "Tintin au Congo" montre en effet un Blanc peut-être gentil avec les Noirs mais un tantinet condescendant avec eux.
Pourtant, c’était peut-être simplement reprendre les opinions communément répandues de l’époque (des années 1930) qui donnaient aux Noirs un déficit,
sinon d’intelligence, au moins de développement. Une période mais aussi un âge, 23 ans en 1930, qui n’était peut-être pas celui de la maturité (Hergé reconnut d’ailleurs par la suite qu’il
n’avait connu le Congo que par les préjugés colonialiste et paternaliste qu’il entendait dans cette Belgique de 1930).
Antisémitisme
Le reproche se justifiait cependant plus par un certain flou qu’avait entretenu Hergé sur ses propres opinions au cours de la Seconde guerre
mondiale, et notamment en raison de la publication de certains de ses travaux dans "Le Soir", un journal collaborateur. On critique notamment une image du "Tintin et l’Étoile mystérieuse" (qui
date de 1941) représentant un banquier new-yorkais antipathique au nez crochu, lèvres épaisses et cigare à la bouche avec un nom juif.
Hergé s’expliqua en 1989 sur ce sujet : « Il me semble que, dans ma panoplie
d’affreux bonshommes, il y a de tout : j’ai montré pas mal de "mauvais" de diverses origines, dans faire un sort particulier à telle ou telle "race". On a toujours raconté des histoires juives, des histoires marseillaises, des histoires
écossaises. Ce qui, en soi, n’a rien de bien méchant. Mais qui aurait prévu que les histoires juives, elles, allaient se terminer de la façon que l’on sait, dans les camps de la mort de Treblinka
et d’Auschwitz ?… À un moment donnée, j’ai d’ailleurs supprimé le nom "Blumenstrein" et je l’ai remplacé par un autre nom qui signifie, en bruxellois, "petite boutique de confiserie" :
bollewinkel. Pour faire plus "exotique", je l’ai orthographié Bohlwinkel. Et puis, plus tard, j’ai appris que ce nom était, lui aussi, un véritable patronyme
israélite ! »
Je serais évidemment bien incapable de savoir le fond de l’affaire, ce qui est sûr, c’est que Hergé n’a jamais émis publiquement de propos antisémite
même sous l’Occupation ; et je me restreindrais seulement à séparer l’artiste de son art, principe sans lequel il me serait impossible d’apprécier Jean-Paul Sartre mais qui ne m’a cependant
pas encore permis de bien goûter Louis Ferdinand Céline (dont je trouve le style hélas illisible).
Coming out ?
Depuis le début de 2009, donc, une deuxième polémique (entre autres) est née. Une sorte de coming out.
Après le maire de Paris, après un secrétaire d’État, voici que l’un des héros les plus populaires de la bande dessinée francophone vient faire son
coming out : il n’y aurait plus aucun doute, Tintin serait homosexuel.
Évidemment phrase oxymore si on en juge par son sens et par mon emploi du conditionnel. N’étant pas (là encore) dans le secret des dieux, je ne peux
qu’émettre une hypothèse exprimée par d’autres. En particulier dans le journal "Times" du 7 janvier 2009 où
un ancien député anglais, Matthews Parris, y décèle de nombreuses coïncidences.
Et la première impression, c’est que franchement, peu me chaut de la sexualité de Tintin.
Certes, il n’y a quasiment aucune femme dans ses aventures, et lorsqu’elles existent, à l’image de Bianca Castafiore, les dames ne sont pas peintes
de façon très complaisante, notamment cette Peggy Alcazar (la femme du général dans "Tintin et les Picaros" buvant et fumant un cigare qui laisse peu de place à la féminité).
À ce propos, Hergé se justifiait simplement en décembre 1978 en
parlant de lui-même dans la peau de Tintin : « S’il dessinait une jolie femme, il introduirait alors une dimension amoureuse
dans mes histoire, ce qui n’est pas son but. (…) Ce n’est pas de la misogynie de la part d’Hergé. Mais il pense que la présence des femmes dans mes aventures créerait des ambiguïtés auxquelles il
ne tient pas. »
De plus, l’amitié qui lie Tintin au jeune Tchang peut interroger (l’une des rares occasions de voir Tintin ému). Hergé avait indiqué en 1973 à Bernard Pivot (cité par Damien Bouhors) que l’histoire avec Tchang état « une histoire simple, sans méchant, juste une histoire forte d’amitié
voire d’amour »
À travers Tintin, encore une fois, on pourrait croire que la cible est Hergé (qui était marié). Mais ça a quel sens ? Des écrivains, des
dessinateurs homosexuels, il y en a eu déjà beaucoup, avant Hergé, et encore beaucoup pendant et après Hergé.
André Gide, pour lequel je cultive une admiration sans borne, l’était aussi et a même tenté de faire un essai justifiant le fait que l’homosexualité
était naturelle (à mon avis, il s’est plus cassé les dents qu’autre chose en tentant l’autojustification alors que l’homosexualité n’a pas plus à être justifiée que l’hétérosexualité).
Dire que Tintin est homosexuel, serait-ce censé formuler une "critique" pour enfoncer le clou du racisme et de l’antisémitisme supposés de l’auteur,
ce qui donne une idée aussi du degré de tolérance face à l’homosexualité en général ? Ou alors, selon l’intention du journal anglais, ne serait-ce pas, au-delà de la polémique, une tentative
de récupération de l’un des héros les plus célèbre ?
L’accusation, enfin, non,
l’interprétation de l’homosexualité (qui n’est pas un délit) a été réfutée par le psytintinologue Serge Tisseron qui explique que s’il n’y a pas de sexualité dans les aventures de Tintin c’est parce que
« dans Tintin, en réalité, tous les personnages sont des enfants ».
L’asexualité de Tintin peut cependant être mise sur le compte d’une pudeur de la société de l’époque et sur les risques de censure relative aux publications pour la jeunesse.
Les lecteurs hétéro-cynophiles seront cependant rassurés en apprenant que le célèbre Milou, à l’instar d’Idéfix chez un héros concurrent, lui, est
bel et bien hétérosexuel puisqu’il a toujours cherché à flirter avec toutes les chiennes qu’il a pu croiser.
Une prochaine polémique ?
Alors, d’ici le centenaire, je propose aux tintinophobes et aux tintinologues un nouveau sujet à polémique à propos de l’enfant du dessinateur né
deux ans après la première Révolution russe : Tintin serait… anticommuniste primaire.
Mais là, ça semble être une évidence reconnue, en
fait…
À tel point que le premier album "Tintin au Pays des Soviets" a été retiré de la vente pendant très longtemps.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (vendredi 13 février 2009)
Pour aller plus loin :
Interview d’Hergé pour le cinquantenaire de Tintin ("Lire" de
décembre 1978).
"Times" du 21 octobre
1983.
Le racisme de Tintin au Congo.
La sexualité de Tintin.
L’âge de Tintin.
Non, Tintin n’est pas raciste (20 juillet 2007).