Après 2008, l'année bancaire de tous les dangers, la comparaison entre UBS et Credit Suisse, les deux premières banques suisses, tourne à l'avantage de la seconde.
L'analyse que publie Le Temps du 12 février 2009 (ici)
est éloquente à cet égard et permet de mieux comprendre ce qui différencie l'attitude de chacune des deux banques face à la crise.
La comparaison entre les deux banques est devenue possible cette semaine parce qu'elles ont publié leurs résultats 2008 à une journée d'intervalle (voir 24 Heures du 10 février ici et du 11 février ici). Le chiffre qui frappe d'emblée les esprits est celui du résultat net de chacune d'elles
pour l'année entière : l'UBS a perdu 19.7 milliards de francs, tandis que le Credit Suisse a perdu 8,2 milliards de
francs. Ce sont ces grosses pertes qui ont fait les gros titres des journaux.
La première réaction des commentateurs est de ne retenir que ces pertes pharamineuses et de mettre les deux banques dans le même panier. Leurs divisions de banque
d'affaires ont en effet toutes deux perdu 7,5 milliards au quatrième trimestre 2008. Cependant, à se contenter de ces chiffres, l'avantage tournerait même plutôt à l'UBS dont
le poids est, aujourd'hui encore, plus grand que son concurrent.
A y regarder de plus près il y a pourtant de grosses différences entre les deux banques. Le Temps s'est livré à l'exercice de les regarder à la loupe.
Le Temps remarque d'abord : "Chez UBS, des réductions drastiques de bonus, des départs de spécialistes clé à New York et à Londres, une restructuration radicale, explique le creusement des
pertes. Chez Credit Suisse, il s'agit de pures pertes de marché. Clairement la banque fut médiocre en 2008 sur le plan du négoce et de la gestion des risques. Mais en réalité, les marchés n'ont
épargné aucune banque, leur rivale Deutsche Bank ayant, elle aussi, perdu 7 milliards de francs."
Je suis allé regarder les chiffres publiés sur les sites d'UBS (ici) et du Credit Suisse (ici) : entre 2007 et 2008 les dépenses opérationnelles de l'UBS sont passées de 35, 4 milliards à 27,6 milliards et celles
du Credit Suisse de 25,3 milliards à 23,3. L'UBS a donc réduit plus fortement ses dépenses et aurait dû engranger de moindres pertes. En fait il n'en a rien été parce que le
Credit Suisse s'est débarrassé dès la fin de 2006 de ses actifs toxiques, tandis que l'UBS a attendu fin août 2007 pour le faire, et que cette lenteur à la détente a produit tous
ses effets en 2008.
Entre les deux banques, souligne Le Temps, "il y a 37 milliards de dollars de différence. Il s'agit des 50,3 milliards de dollars qu'a dû amortir UBS sur le marché
"subprime", comparé aux 13,7 milliards perdus par Credit Suisse". Le Temps ajoute : "Au final, Credit Suisse a pu dégager 7,8 milliards de francs de bénéficeen 2007, quand UBS terminait
l'année avec 4,4 milliards de pertes".
Selon Le Temps, cette différence explique le comportement de la clientèle de gestion privée : "Tandis que l'UBS a vu sortir 108 milliards de francs d'avoirs de clientèle
privée en 2008, Credit Suisse est parvenu à attirer 51 milliards. Sa réputation est restée intacte, contrairement à UBS. Désormais l'écart se réduit entre Credit Suisse qui gère 646 milliards de
francs d'avoirs privés, et la plus grande privée du monde, UBS, qui gère 871 milliards. D'autant que cette dernière a perdu 182 conseillers en gestion, tandis que sa rivale en embauchait
340."
Les conséquences de cette erreur initiale sont sans commune mesure. La principale conséquence est toutefois que l'UBS a perdu son autonomie de décision en se
voyant acculé à demander pitoyablement l'aide de l'Etat (voir mon article Comme les autres: le Conseil fédéral veut intervenir
pour sauver l'UBS ). Le fonds singapourien qui avait souscrit aux augmentations de capital du début 2008 n'a pas voulu remettre de l'argent en octobre. Depuis l'UBS n'est plus
libre entre autres de mener la politique de rémunérations qui conviendrait pour maintenir sa compétitivité face aux autres banques, plus particulièrement face au Credit
Suisse, qui, lui, au plus fort de la crise de liquidités, a réussi, sans difficulté, à récolter 10 milliards de francs en octobre auprès du Qatar, de l'Arabie Saoudite et d'Israël.
Ayant reçu des fonds publics l'UBS s'est retrouvé sous les tirs des médias et de l'établissement parce qu'elle a, sur 2,1 milliards de francs de rémunérations variables, octroyé 1,2 milliard de
bonus en 2008 (ici). Du coup la banque a été obligée de prévoir à l'avenir des conditions plus
strictes dans l'atribution de bonus. Immanquablement je pense à la fable de La Fontaine, Le Loup et le Chien, et plus précisément au moment où le loup "vit le cou du chien
pelé":
"Qu'est-ce là? lui dit-il - Rien - Quoi ? Rien ? - Peu de chose.
Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché ? dit le Loup : Vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? - Pas toujours; mais qu'importe ?
- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor."
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.
Interrogé sur une éventuelle aide de l'Etat ( voir Le Matin du 11 février ici ) le chef des
finances du Credit Suisse, Renato Fassbind, a déclaré : «Nous n'avons pas demandé d'aide jusqu'à présent et ne comptons pas le faire à l'avenir». Sage décisision.
En effet l'aide de l'Etat a ses revers. Nous venons de voir que l'UBS, qui porte maintenant un collier, n'est plus libre de ses décisions, aux dépens de son redressement éventuel. De
plus bénéficier du parachute doré de l'Etat n'inspire pas confiance à la clientèle et n'incite pas à prendre les bonnes décisisions, sans compter qu'il faut bien prendre l'argent quelque
part et que ce sont les entreprises qui marchent bien qui paient toujours ce que l'Etat donne généreusement aux canards boiteux. Je me souviens d'un temps où les bénéfices de Peugeot
correspondaient au montant des subventions accordées à Renault...
Francis Richard