Magazine Beauté
Le monde de la parfumerie a changé : mondialisation, uniformisation, émergence de marques de niches, nouvelles contraintes techniques, consommateurs plus exigeants… Fabrice Olivieri, ancien chef de projet marketing reconverti « nez » par passion, fondateur du laboratoire olfactif Trendslab, travaille dans l’ombre des marques de beauté. Il nous donne son point de vue sur la parfumerie d’aujourd’hui.
En quoi consiste ton travail de parfumeur au quotidien ?
FO : Les marques me contactent et me présentent un brief : positionnement marketing de l’eau de toilette ou du cosmétique, cible, circuit de distribution, et une idée plus ou moins précise de la fragrance recherchée. Mon travail consiste alors à créer un parfum qui corresponde à leurs attentes, avec un certain nombre d’allers-retours sur les essais que je leur propose, jusqu’à ce que l'on valide la version qui mette tout le monde d’accord.
Qu’est-ce qui fait selon toi un bon « nez » ?
FO : Ne demandez pas à un parfumeur s’il est un nez, il vous répondra « un cerveau aussi ! ». Contrairement à ce que l’on pourrait croire, pour devenir un bon nez, il ne faut pas avoir de prédispositions extraordinaires. L’olfaction est le sens le moins développé dans nos civilisations et sa maîtrise est une question d’entraînement. Il faut se constituer une véritable bibliothèque olfactive en mémoire, en sentant quotidiennement des matières premières et des compositions. Ensuite, la création d'un parfum est une œuvre artistique, de l’imagination mêlée de maîtrise technique. C’est le métier le plus anticartésien qu’il soit ! Une exploration perpétuelle…
Y a-t-il une différence de conception entre les parfums destinés à des eaux de toilette et ceux destinés à des produits cosmétiques ?
FO : Pour un produit d’hygiène ou de soin, il y a des contraintes techniques spécifiques : le parfum doit être compatible avec la base (émulsion, huile, savon…) et bien se marier avec son odeur intrinsèque. Or il y a de fortes interactions entre les matières premières de la base et celles du parfum, et il est difficile de maîtriser la stabilité de la fragrance. Le parfum d’un soin doit mettre en valeur le concept du produit. Il traduit une texture, une impression, un plaisir, et doit répondre aux attentes de la cible : des notes aquatiques et fraîches pour un soin hydratant ou poudrées pour une crème seniors, par exemple. Enfin, il correspond à un moment éphémère, celui de l’application, et doit donc rester suffisamment évanescent.
Un parfum pour eau de toilette au contraire, doit durer plusieurs heures. C’est un tableau beaucoup plus composé avec des notes de tête, de cœur et de fond. Il doit véhiculer toutes les valeurs de la marque : sensualité, sophistication, classicisme ou avant-garde…
Il y a actuellement une très forte demande de parfums 100% naturels. Quelles en sont les contraintes spécifiques ?
FO : Il faut savoir que les parfums conventionnels actuels sont pour la plupart composés de 80 à 90% de produits de synthèse. Ces matières premières ont énormément fait progresser la parfumerie, car elles permettent d’obtenir des notes très contemporaines impossibles à reproduire avec des matières naturelles : fraîches, transparentes, musquées, enveloppantes, diffusantes…
Mais pour répondre au cahier des charges Ecocert*, un parfum doit être constitué d’ingrédients 100% naturels, bio ou non, extraits avec des solvants organiques, en excluant tout produit de synthèse. Ce qui réduit considérablement la palette olfactive aux seules huiles essentielles (HE) et fraction d’huiles essentielles (isolats naturels). Cela permet de parfumer de manière acceptable les produits de soin mais c’est plus difficile pour les eaux de toilette. Cependant, on arrive aujourd’hui, en travaillant bien les isolats, à faire des eaux de toilette naturelles agréables, loin des classiques senteurs de l’aromathérapie. Le consommateur a perdu la notion de l’odeur du naturel, c’est pour cela qu’il a parfois un véritable choc olfactif avec ces compositions 100% nature.
Une des limites des parfums naturels, pour les marques positionnées « hypoallergéniques », est que quasiment toutes les HE, exceptées celles de santal, cèdre, patchouli et vétiver, contiennent naturellement des substances classées comme allergènes par l’Union Européenne (limonène, citral, géraniol, citronnellol, etc…).
Justement, comment se traduit la demande de produits hypoallergéniques dans ton travail ?
FO : Formuler un parfum sans allergène, donc sans HE, c’est comme faire de la cuisine sans sel, poivre, huile et vinaigre. Cette demande n’est pas vraiment justifiée car la grande majorité des personnes ne sont pas allergiques à ces 26 substances. C’est comme s’il fallait abattre tous les noisetiers de France et de Navarre parce qu’il y a quelques individus allergiques à la noisette ! Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les 2 HE qui contiennent le plus d’allergènes (rose et lavande) ont des vertus thérapeutiques extraordinaires ! Personnellement, je soigne mes brûlures avec de l’HE de lavande.
Quels sont les parfums qui t’ont récemment bluffé ?
FO : Malheureusement, la parfumerie tend à se standardiser de façon excessive depuis plusieurs années, avec des groupes internationaux qui souhaitent que leurs parfums plaisent de Tokyo à New York, en passant par Paris et Los Angeles. Il y a donc très peu d’innovation et de prise de risque olfactive. Heureusement, on note l’émergence de marques de niche qui prennent le contrepied en créant des fragrances plus complexes et plus innovantes, souvent autour d’une matière première, d’une émotion ou d’une sensation. La créativité est donc plutôt à trouver du côté de ces marques, qui laissent une totale liberté au parfumeur.
Parmi les lancements de ces dernières années, j’aime bien Dior Homme, qui fait avancer la parfumerie avec des notes plutôt féminines, poudrées d’iris, greffées sur un cœur classique boisé. Il fait bouger les lignes des territoires masculin et féminin.
De la même manière, le féminin Kelly Calèche d’Hermès est très intéressant par son travail autour du cuir, traditionnellement masculin.
Sinon, je trouve tout le travail de Serge Lutens fabuleux, en tous cas pour qui aime les parfums voluptueux !
Quelles sont les tendances de demain ?
FO : En 2009, il y aura beaucoup de vert, une tendance de fond écolo tout comme dans la déco, la mode. C’est aussi très tendance de faire des parfums autour des cocktails, des liqueurs… Mais la plus grande évolution est qu’aujourd’hui, le monde du parfum sélectif se scinde en deux : d’un côté, les marques internationales qui cherchent à faire le succès consensuel et planétaire de demain, de l’autre, les marques de créateurs, très haut de gamme, qui osent une création débridée. C’est dommage, car tous les parfumeurs ont des mines de créativité dans leurs tiroirs, et les grandes marques ne les exploitent finalement que très peu.
Contact : http://www.trendslab.fr - [email protected]
* Organisme de contrôle et de certification BIO : http://www.ecocert.fr