Cardinal Ratzinger, La liturgie après le Concile - 4

Publié le 12 février 2009 par Walterman

Deuxièmement : le Concile nous a rappelé avec beaucoup d'insistance que, dans le langage de l'Église, la liturgie se nomme actio. Elle est une action et c'est pourquoi il y a la participatio actuosa, la participation active de tous les fidèles, Mais alors, l'idée s'est plus ou moins imposée que la liturgie devrait être forgée par la communauté afin d'être réellement son oeuvre, et de ce fait on en est venu, pour parler sans nuances, à mesurer en définitive la réussite de la liturgie à son pouvoir de distraction. Il fallait qu'elle soit organisée d'une manière vraiment captivante, afin d'arracher même ceux qui ne participaient pas à leur indifférence et les inciter à adhérer à la communauté. Mais, ce faisant, il nous est arrivé quelque chose de singulier : c'est justement ainsi qu'a disparu la tension intérieure propre à la liturgie.(
à suivre)
Cette tension, en effet, ne vient pas de ce que nous nous faisons, mais de ce qui, ici, se fait, et que nous-même tous ensemble nous ne pouvons justement pas faire. Ce qui a donné à la liturgie, des siècles durant, sa position, c'est que s'exerce ici un pouvoir que personne ne peut se donner à soi-même, que le Tout-Autre se manifeste en réalité, que le Tout-Autre apparaît au milieu de nous. Saint Grégoire de Nysse, dans son commentaire du Cantique des cantiques, ce poème de l'humanité primitive chantant le désir ardent et le tragique de l'amour, a décrit l'homme comme la créature qui veut faire éclater le cachot de sa finitude, qui veut sortir, s'évader de la prison de son moi et de l'univers entier. Et effectivement : la terre est trop petite pour l'homme, et elle continuera de l'être, même s'il peut s'envoler vers la lune, ou peut-être un jour vers Mars. Il soupire après l'autre, le Tout-Autre, qu'il ne peut se donner à lui-même. Derrière cette aspiration il y a celle de pouvoir surmonter la mort. Dans toutes leurs fêtes, les hommes ont recherché la vie qui est plus grande que la mort. Le droit à la joie que cherche l'homme en fin de compte, vers lequel il tâtonne, errant d'un lieu à un autre, ce droit n'est véritable que s'il peut se maintenir devant le problème de la mort. L'Eucharistie signifie que la Résurrection du Seigneur nous en donne le pouvoir, que personne d'autre ne peut nous donner. C'est donc trop peu de dire que l'Eucharistie est le repas de la communauté. Elle a coûté au Seigneur sa mort, et c'est seulement pourquoi elle peut être le don de la résurrection. Par conséquent ce ne sont pas les variétés de notre fabrication qui importent dans l'Eucharistie. Toutes les variétés ont une fin et toute distraction devient à la longue ennuyeuse - oh combien ! nous le savons aujourd'hui. Ce qui importe, c'est que s'actualise pour nous le durable, l'essentiel et que nous allions vers lui.
Toute participation et toute mise en forme liturgique extérieures ne servent à rien, si elles ne deviennent pas participation au plus profond de la réalité intérieure, au chemin du Seigneur - participation à Dieu. C'est à cette mise en route que cette participation veut nous amener. Ici encore, deux conséquences pratiques :
- il n'importe pas dans la liturgie qu'il y ait de la variété, mais qu'on expérimente toujours plus profondément ce qui, en elle, n'a pas besoin de varier parce qu'étant la réponse essentielle que nous cherchions.
Et :
- il ne s'agit pas seulement dans la liturgie de connaissance, de réflexion, de tout ce qui peut être immédiatement compris parce qu'évident, comme nous comprenons les gros titres d'un journal. C'est toute la profondeur de l'homme qui s'exprime dans la liturgie et qui va beaucoup plus loin que notre connaissance courante ; il y a des réalités que nous ne comprenons qu'avec notre coeur, et seulement peu à peu avec notre intelligence, dans la mesure où nous nous laissons éclairer par notre coeur.

La vie liturgique dans les communautés quinze ans après le Concile
J. Ratzinger, 1985