Dans la Rome d’après la Seconde Guerre mondiale se retrouvent pas hasard le scénariste Mario - le narrateur - et son ami, Harry, un ancien soldat américain épris d’art italien devenu chargé de mission à l’UNESCO dans le cadre de la reconstruction du pays. Aussitôt, Harry sollicite l'aide financière de Mario, qui ne peut refuser tant son ancien ami semble être désemparé et dans le besoin. Il lui prête donc de l'argent qu'il pense pouvoir se faire rembourser quand Harry aura écrit un scénario pour lui.
Mario rencontre également Dorothéa - aussi appelée Dora, l'amie de Harry, ancienne prostituée, qui l'attire irrésistiblement et qu'il tentera de séduire. Cependant, il découvre toute la vie de Harry lorsque celui-ci lui fait parvenir son manuscrit : le scénario promis n'est pas une fiction, mais un récit fidèle des années passées, années pendant lesquelles Harry, en dépit de son mariage avec Jane, voua une adoration obsessionnelle et maladive à Dora.
Sur cette histoire d’adultère somme toute banale se greffe un mystérieux chantage : des lettres envoyées de Capri réapparaissent et troublent profondément Harry et son entourage... dont je ne vous dirai pas plus pour ne pas dévoiler l'intrigue. De plus, tout au long du roman, nous assistons au débat intérieur de Harry, son attirance mêlée de répulsion pour Dora, son amour raisonné pour son épouse, sa culpabilité tout en même temps que cette force puissante qui le pousse vers le mal, la fange... Les âmes sont dévoyées et dévorées par les tourments de la chair, mais endurent mille souffrances à n'y pas succomber et mille remords quand elles n'ont pas sur résister... En ce sens, le livre a un peu vieilli : l'adultère est devenue monnaie courante, ou plutôt, n'est probablement pas plus fréquent qu'autrefois, mais tout du moins, n'est plus caché et honteux, et nous vivons dans une société qui n'est plus du tout puritaine. Quand à la notion de péché et au repentir, l'effondrement du respect des religions en font des notions obsolètes, ou presque...
Un beau texte, bien que la structure de l'intrigue soit plutôt complexe. L'écriture est limpide, rigoureuse et très "visuelle" comme un scénario de film (Soldati était cinéaste) et l'auteur décrypte avec talent l'esprit et le coeur humain et ses contradictions et tourments. Il brosse avec précision les caractères des personnages, même ceux des personnages secondaires, dont nous ne saisissons toute la profondeur qu'en cours de lecture.
Publié en 1954, Les Lettres de Capri consacre Mario Soldati, qui s'affirme alors comme l'un des plus grands écrivains italiens du siècle. Ce chef-d'œuvre reçut le prestigieux prix Strega (le Goncourt italien).