Pendant les massacres et dans les camps
Publié le 12 février 2009 par Menear
Antoine Volodine,
Dondog : deux choses. La violence gratuite du monde à la frontière de (du tout et du rien), l'administratif aveugle qui décide des déplacements humains comme des migrations de viande (du dedans vers l'ailleurs, de la mort vers la souffrance). C'est un univers de l'entre-deux, concentrationnaire et chamanique, issu du rêve et de la torture. La déconstruction du langage, également, avec dialogues syncopés et parler enfant à l'infinitif. Chaque parole résonne comme une sentence : c'est là la portée du
Monologue de Dondog.
- Remets-moi la prisonnière, dit-il.
Toghtaga Özbeg déplia le papier. C'était un ordre d'arrestation qui avait été établi dans la Section 44B de la Légalité révolutionnaire. Il portait de nombreux tampons, ainsi que la signature très lisible de Jessie Loo.
- C'est un mandat en blanc, fit observer Özbeg.
- Notre commandant était seul habilité à le remplir, dit le soldat. Mais ensuite, il s'est fait déchiqueter. Quant à moi, ce matin, je me suis rendu compte que je n'avais rien pour écrire. Et puis ma main a été mordue, elle n'est plus bonne pour rédiger les documents officiels. Tu sais écrire ?
- Oui, dit Özbeg.
- Alors écris, ordonna le soldat. Mets un nom là où il y a une ligne à compléter.
- Quel nom ? dit Özbeg.
- Je ne sais pas, dit le soldat.
De nouveau, les commissaires du peuple éclatèrent de rire. Tout le monde riait, à l'exception de Toghtaga Özbeg et du soldat.
- Le commandant ne nous a pas mis dans ses confidences, dit le soldat. Quand il m'a confié le papier, les loups nous encerclaient. Ils lui avaient déjà mangé la moitié de la gorge. Il ne pouvait plus articuler quoi que ce soit. Il m'a fait un signe et il est mort.
Le document circula de main en main, les commissaires du peuple l'auscultèrent, puis il revint vers les chamanes. Gabriella Bruna l'examina à son tour et, quand elle aperçut tout en bas la signature de Jessie Loo, elle comprit de quoi il s'agissait : son amie lui donnait une chance de revenir dans le monde, au milieu des affreuses réalités du monde, pour être avec ses petits pendant les massacres et dans les camps.
Antoine Volodine, Dondog, Points Seuil, P.211-213.
Ted Schmeck m'a battre. Cabuco le Nain m'a tuer. Ou presque. Cabuco le Nain presque m'a tuer. Les frères Bronx aussi m'ont battre. Schielko, le petit, et Tonny Bronx, son frère aîné. Eux aussi m'ont battre. Blodshiak l'institutrice est partir tabasser les autres dans la rue. Eliane Hotchkiss je crois elle aussi m'a battre. Elle m'a peu battre. Ou presque. Eliane Hotchkiss m'a peu tuer.
Ainsi débute Le Monologue de Dondog.
Dondog est assis sur un minuscule tabouret, comme autrefois les vendeurs de nouilles froides sur les marchés de Pékin, au temps où Pékin existait encore. Au lieu d'un bol, il a devant lui un livre. Sans vraiment s'incliner vers les livre, il continue à parler sur un ton monocorde.
Eliane Hotchkiss m'a très peu battre, continue Dondog,mais elle a dire de me battre. Elle a dire de tirer mon corps dans une école vide, dans une salle de classe, dans la salle de classe de l'institutrice Blodshiak, et elle a dire d'être méchant avec moi sous la boîte à craies, sous les cartes de géographie en carton dur. J'ai crier, j'ai braire de peur. Ted Schmerk m'a saisir le cou par-derrière avec une écharpe, Cabuco le Nain m'a taper sur le front, m'a ouvrir le front d'un coup de chaise. Je me suis taire sous l'écharpe serrée, sous les coups de Cabuco le Nain, sous le sang, sous les craies. Eliane Hotchkiss m'a frotter la figure avec le chiffon à craie, elle m'a tordre le nez plein de morve et de sang. Eliane Hotchkiss a dire : « Dondog, tu sens le vieux champignon ybür, comme ton petit frère, comme lui tu vas mourir. » J'ai braire encore. J'ai dire : « Pas touche à Yoïsha ! Pas mon petit frère ! » Tony Bronx m'a cogner sur la poitrine, Schielko Bronx m'a tordre les doigts. Eliane Hotchkiss a dire : « Dehors on voit des Ybürs couchés dans leur sang, dehors ils crèvent les Ybürs, dehors dans la rue tout le monde crève les Ybürs ! » Schielko Bronx a dire : « Je ferai pipi sur toi quand tu seras seulement de la viande couchée par terre. » Ted Schmerk a serrer encore plus fort l'écharpe. J'ai vouloir rugir au secours. J'ai entendre mon filet de voix ridicule. Alors Tonny Bronx a dire : « Maintenant, on crève Dondog. »
P. 277-278