Le premier jour des sept derniers mois de ma vie de mère au foyer

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Nous sommes à Verte-Ville depuis dix mois et il me reste sept mois en tête à tête avec ma fille, hormis le jour béni de la garderie du jeudi, avant d'être pour la première fois une mère de famille qui va où elle veut. Dans la journée du moins. Car à 19 heures grand maximum, ce sera, tambour battant, récupération de marmaille hurlante sur fond de devoirs pas faits, assortie de sa palanquée de douches approximatives et ornée de son dîner à préparer toutes affaires cessantes. Peut-être tout cela après les courses, d'ailleurs. A moins qu'ils continuent à se débrouiller pour les devoirs, que la douche ne soit plus règlementaire qu'au bout de deux jours et que des sandwitchs nous tiennent compagnie jusqu'au coucher (tôt.)

Etant donné la vitesse à laquelle ont filé ces dix mois dans cette bonne ville, j'imagine ce que ça va être pour les sept mois suivants. Un océan vite franchi de courses, ménage, repassage, paperasses, recourses, et. sans compter la princesita et tout ce dont mademoiselle a besoin comme attentions toute la journée. Puis, en septembre, le vide. Quatre loupiots à l'école, me laissant face à une liberté bien chèrement acquise. Parce que dix ans de marmots non scolarisés, il faut quand même se les coltiner.

Je n'arrive pas à y croire. Cela fera bientôt dix ans que je vis au rythme de la marmaille, que je mets trois fois trop de temps à accomplir des choses toutes bêtes, qu'ils m'envahissent, me bouffent, m'occupent. Que je l'aie bien cherché ou non n'a rien à voir. Je suis heureuse d'avoir eu des enfants. D'ailleurs j'en voulais quatre, ça tombe bien. Mais à l'aube de cette vie nouvelle - car retrouver ses journées pour soi, ce n'est pas rien - je suis plutôt émue.

Depuis six mois au moins je dis que je prépare mon CV. Malgré ma journée de garderie pour Ninette il a fallu qu'une copine me propose de la prendre deux heures, l'année dernière, pour que je m'y mette vraiment. Merci Anne-Sophie! J'ai donc un nouveau CV, et maintenant qu'en faire? Ma liberté à reperdre au profit d'un employeur, c'est dans sept mois! Alors je dis que je vais aller à l'info emploi de ma ville; n'y vais pas, glandouille des heures sur internet lorsque mon infernale donzelle dort; les journées filent.

Vous pouvez bien me donner sept mois, à coup sûr je ne les verrai pas.

Ce midi j'ai conduit un de mes lascars chez le médecin : il a quasiment fallu que j'assomme ma fille pour l'habiller, et pourtant il neigeait. C'est une nudiste, me direz-vous, mais quand même. Au sortir du médecin, même combat. Mademoiselle voulait marcher, mais nous n'étions pas en avance. Nous avons donc eu droit à des hurlements tout le long, sous les regards acerbes des passants. J'ai finalement obtenu une Ninette sanglotante, frigorifiée et de surcroît humide. A la maison, Mademoiselle avait envie de jouer, puisque je parlais au téléphone. Me piquer le sel et se barrer en courant, c'est marrant. Encore plus quand c'est le pot de noix de muscade. Résultat, l'appartement est retapissé à la noix de muscade : je n'ai pas couru assez vite. Et maintenant elle dort, après avoir passé au moins un quart d'heure à me faire des papouilles.

Car bizarrement, alors que j'ai toujours été là, présente, câline, mes gamins me collent littéralement, même les grands. Ma petite morveuse me court après en permanence, me lisse les cheveux, m'embrasse, hurle si je vais dans la pièce à côté. J'ai aussi des floppées de maman t'es la plus zolie et la plus belle maman ze t'aime et même des embrassades de mains, de tous sauf de l'aîné, plus pudique. Il faut dire que s'il ne devient pas trader, celui-là, ce sera vétérinaire ou astronaute. Que du sérieux et de l'honnête.

En réalité, à l'aube d'une nouvelle vie, j'ai envie de tout refaire péter et de faire changer drastiquement l'orientation géographique de la Maison Lescinqt. J'adore cette ville, ce miracle quotidien pour les familles, cet endroit où à n'en pas douter je trouverais un travail pour peu que je cherche. Mais question loyers c'est du foutage de gueule dans les grandes largeurs. Ce marché locatif est d'une vulgarité à me faire rougir! Car je viens de m'apercevoir que les loyers ont encore augmenté depuis que nous sommes là. En avril 2008, il fallait lâcher la bagatelle de 1 500 euros pour un petit trois pièces de moins de 70 m2. Aujourd'hui c'est 1 700.

C'est à dire que même si je retravaille, notre niveau de vie n'augmentera pas d'un iota et que nous devrons nous contenter d'un 100 m2 au grand maximum pour sept personnes, dans l'option la plus favorable, si jamais un jour nous prend la fantaisie de lâcher (au moins) 2000 euros par mois pour nous poser. N'est-ce pas du beau foutage de gueule?

J'ai donc sept mois pour réfléchir, convaincre mon mari de décamper d'une ville que je porte au pinacle, pour loin, beaucoup plus loin, genre la campagne profonde que nous connaissons si bien, et réfléchir à ma future activité. Parce que "Paris et le désert français", ce n'est pas un mythe. Dès que l'on quitte cette bonne vieille capitale, enfin bonne pour les gens riches, c'est le désert de l'emploi, dans lequel je pourrais faire penseuse à la maison ou shoppeuse personnelle. En tout cas, vu la conjoncture, nous ne serons sûrement pas ici de très longues années. Car avez-vous déjà vu dormir cinq ados dans moins de dix mètres carrés?

Moi je n'ai pas envie de voir ça.

Alors, pour le premier jour des sept derniers mois de ma vie scotchée à mon corps consentant, de beaux projets, et une seule constatation : la lutte n'est pas finie!

Si je voulais me poser, eh bien c'est raté.

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