Au début des années 30 du siècle précédent, les divisions entre socialises et communistes n’étaient pas moins fortes en France qu’en Allemagne où elles permirent le triomphe du nazisme. Sur le terrain cela se traduisait par une guerre d’injures réciproques, de petites phrases assassines et parfois de farouches bagarres. En Bresse, où l’on sait que le meilleur moyen d’anéantir l’adversaire est de le ridiculiser, les uns et les autres ne manquaient jamais l’occasion de railler leurs adversaires. Waldeck-Rochet , né natif de sainte Croix en Bresse et futur successeur de Thorez à la tête du PCF, qui commençait là sa carrière politique, l’apprit à ses dépens. Représentant son parti lors d’une élection législative quelconque, il terminait systématiquement ses discours électoraux par la formule suivante : « Voter pour le socialiste contre le réactionnaire, c’est changer son cheval borgne contre un aveugle ! »
Cette péroraison avait le don d’exaspérer les militants de la SFIO. L’un d’entre eux s’avisa d’un détail qui éveilla sa méfiance. Le candidat communiste arrivait toujours à ses réunions, monté sur une bicyclette, moyen de transport éminemment prolétarien qui tranchait heureusement avec les automobiles utilisées par ses compétiteurs. A son entrée dans la salle, un membre de la cellule locale (*) ne manquait pas de le faire remarquer, en ajoutant, assez fort pour que nul n’en ignore, : « Mon pour’ camarade t’es ben gaujé ! » (**) Ce à quoi Waldeck dont le pantalon, les chaussures et les chaussettes étaient, en effet, trempés et maculés de boue, répondait que c’était là un bien petit inconvénient, un vrai révolutionnaire ne devant pas craindre d’affronter les intempéries quand il s’agit d’éclairer le peuple. Les auditeurs, qui connaissaient la nature argileuse de la contrée, en étaient favorablement impressionnés et, même s’il ne les convainquait pas, il gagnait du moins leur sympathie ce qui, comme l’enseignaient les spécialistes de la propagande, était le premier pas indispensable vers la conquête du pouvoir.
Cependant, même en Bresse, fit observer le socialiste à ses amis, il arrive que les chemins soient secs. Ils décidèrent donc de mettre en place une filature qui leur permit de surprendre le candidat communiste au moment où, ayant déposé sa machine contre un talus, il trempait délibérément ses jambes dans l’eau sale d’un fossé. Aussitôt publiée, la nouvelle fit le tour de la circonscription et eut sur le résultat du vote un effet inverse à celui qu’attendaient le ou les inspirateurs de cette brillante idée. C’est ainsi que l’histoire du « vélo au Waldeck » entra dans la mémoire politique locale et, longtemps après, les réformistes en riaient encore.
Pourquoi avoir raconté cette anecdote ? Peut-être parce qu’à l’occasion du récent congrès du NPA, je suis tombé, par hasard, sur le nième reportage montrant, Besancenot, le gentil facteur, pédalant sur son vélo aux couleurs de la Poste. Certes, il n’était pas physiquement « gaujé ». Il n’y a pas de fossés à Neuilly. Mais, je ne sais pas pourquoi, et même si on ne fait plus de propagande mais de la communication, j’ai senti, peut-être à tort, une continuité dans la tradition révolutionnaire qui méritait d’être saluée.
Chambolle
(*) Il est possible qu’à cette époque les « cellules » se soient appelés des rayons, les historiens du mouvement ouvrier me pardonneront cet anachronisme.
(**) « Mon pauvre camarade, tu es bien crotté ! »
éé
éé