Mon amie Sylvie est libraire. Elle a ouvert sa librairie à Tana, il y a presque 10 ans.
J’arrondis. Ce devait être autour de 2001. Mon livre “Eline ou le passage du cyclone ” venait juste de sortir et mon contrat de coopération à l’université malgache se terminait.
Sylvie est une pro. Elle a commencé à constituer un fonds consacré à la littérature malgache , à faire venir certains ouvrages d’auteurs de l’Ile, qu’on ne trouvait plus qu’en France. J’observais son travail de fourmi.
J’étais très fière qu’elle croie en mon livre et qu’elle organise à son objet, un service de presse. Les journaux et même la télévision se sont mis a en parler. Les Malgaches aimaient bien “Eline”. J’y égratignais gentiment les formes caricaturales de la présence culturelle francaise, la non écoute d’une véritable demande linguistique. Cela amusait bien mes collègues des universités. Et Sylvie était contente. Le livre s’est bien vendu.
J’ai donc connu Sylvie à cette occasion et j’ai vu de près ce qu’était le vrai travail d’une libraire. La longue journée qui n’est pas seulement consacrée a la lecture ou au conseil littéraire. Les cartons à porter. Les cartons à décharger. La gestion de stocks si difficile dans un pays pauvre. Quel public? Qui achète quoi quand l’argent manque pour le riz devenu trop cher ? A l’époque, Sylvie n’avait pratiquement rien pour vivre. Elle mangeait du riz. Comme tous les Malgaches. Bien contente d’en avoir. Il n’y avait pas de quoi se lamenter. Ce n’était pas une wahasa comme les autres. Elle avait fait son choix. Elle avait été libraire à Paris, puis à La Réunion et, passant par Tananarive, avait décidé de faire vivre ici, à sa mesure, et à sa manière, une petite librairie. Non, ce n’était vraiment pas une wahasa comme les autres.
Dans sa librairie,donc, presque minuscule, tout en longueur, les artistes pouvaient exposer leurs oeuvres. C’etait un lieu ouvert sur le monde des mots mais aussi sur la vie des autres.
Et si j’écris à l’imparfait, c’est que dans les tourmentes comme vient d’en connaître Madagascar, les dommages collatéraux atteignent tout le monde. Dans l’incendie qui a dévasté récemment les supermarchés, les boutiques environnantes ont lourdement souffert.
Ainsi la librairie de Sylvie est à rebâtir. Tout est à reconstruire. Quelles assurances pour dédommager les dégats provoqués par la colère de la rue?
Mais je lui fais confiance. Avec Stéphane, son associé et l’aide de Jean-Yves, son compagnon, Sylvie va rebondir. La librairie va renaître. Ce n’est tout simplement pas possible autrement.
A bientôt, Sylvie, de te voir les bras chargés de livres, le dos harrassé (mais quoi qu’on te dise, tu t’en moques), courant les fournisseurs lors de tes visites à Paris, riant avec les peintres venus exposer dans ta boutique, accueillant les lecteurs, observant avec tendresse tous les flâneurs et autres amoureux de la chose imprimée. A bientôt Sylvie.
Illustration: tableau de la lumineuse Myriam Merch, alias Sexy Expedition Yeye, un supermarché à sa manière, inspiré des boutiques de rue de Tamatave où elle vit. Myriam a souvent exposé chez Sylvie. Ce tableau est emprunté au site du Sakamanga , à Tana.