Le livre de Gabory ,
et particulièrement un morceau sur Proust (voir ici), m'a
donné envie d'aller fouiller un peu dans le Journal de Gide.
Entreprise instructive.
On se rend compte
en lisant l'entrée du 14 mai 1921 (p. 691 dans la Pléiade)
que Gabory a tout simplement pillé Gide (le passage sur
Baudelaire) sans le dire, faisant passer une citation pour des propos
personnels.
A moins,
laissons-lui le bénéfice du doute, qu'il pensait que
cet extrait du Journal était suffisamment connu pour que
n'importe quel lecteur cultivé rende à César ce
qui était à César.
En tout cas, voici
le texte de Gide:
Passé
avec Proust une heure de la soirée d'hier. Depuis quatre jours
il envoie chaque soir une auto pour me prendre, mais qui chaque soir
m'a manqué... Hier, comme précisément je lui
avais dit que je ne pensais pas être libre, il s'apprêtait
à sortir, ayant pris rendez-vous au dehors. Il dit ne s'être
pas levé depuis longtemps. Bien que, dans la chambre où
il me reçoit, l'on étouffe, il grelotte; il vient de
quitter une autre pièce beaucoup plus chaude où il
était en nage; il se plaint que sa vie ne soit plus qu'une
lente agonie et bien que s'étant mis, dès mon arrivée,
à me parler de l'uranisme, il s'interrompt pour me demander si
je peux lui donner quelques clartés sur l'enseignement de
l'Evangile, dont je ne sais qui lui a redit que je parlais
particulièrement bien. Il espère y trouver quelque
soutien et soulagement à ses maux, qu'il me peint longuement
comme atroces. Il est gras, ou plutôt bouffi; il me rappelle un
peu Jean Lorrain. Je lui apporte Corydon dont il me promet de ne
parler à personne; et comme je lui dis quelques mots de mes
Mémoires:
« Vous pouvez tout
raconter, s'écrit-t-il; mais à condition de ne jamais
dire: Je. » Ce qui ne fait pas mon affaire.
Loin de nier ou de cacher son
uranisme, il l'expose, et je pourrais presque dire: s'en targue. Il
dit n'avoir jamais aimé les femmes que spirituellement et
n'avoir jamais connu l'amour qu'avec des hommes. Sa conversation,
sans cette traversée d'incidentes, court sans suite. Il me dit
la conviction où il est que Baudelaire était uraniste:
« La manière dont il parle de Lesbos, et déjà
le besoin d'en parler, suffiraient seuls à m'en convaincre »,
et comme je proteste:
- En tout cas, s'il était
uraniste, c'était à son insu presque; et vous ne
pouvez penser qu'il ait jamais pratiqué...
-Comment donc! S'écrie-t-il.
Je suis convaincu du contraire; comment pouvez-vous douter qu'il
pratiquât? lui, Baudelaire!
Et, dans le ton de sa voix, il
semble qu'en en doutant je fasse injure à Baudelaire. Mais je
veux bien croire qu'il a raison; et que les uranistes sont encore un
peu plus nombreux que je ne le croyais d'abord. En tout cas je ne
supposais pas que Proust le fût aussi exclusivement.