Sarkozy invente le protectionnisme national dans l'UE

Publié le 11 février 2009 par Letombe

Nicolas Sarkozy invente le protectionnisme national dans une Europe sans frontière


Le chef de l’État, tels docteur Jekyll et mister Hyde, a deux visages : l’un, Européen, l’autre, nationaliste. Et aux citoyens de s’y retrouver.

Jeudi, lors de son interview radiotélévisée, il a, en effet, à la fois plaidé pour une action coordonnée des Vingt-sept contre la crise et pour un protectionnisme national totalement en contradiction avec sa première proposition.

Si sa volonté d’« arrêter les délocalisations et que si possible on relocalise » peut se comprendre en période de crise, même s’il sait parfaitement que dans une économie ouverte il est difficile, pour ne pas dire impossible, d’empêcher de tels mouvements dont l’ampleur est largement surestimée. Mais, poursuivant sur sa lancée, il a ajouté: « qu’on crée une usine Renault en Inde pour vendre des Renaults aux Indiens est justifié, mais qu’on crée une usine en Tchéquie pour vendre des voitures en France, ce n’est pas justifié », même si l’écart de coût est, entre les pays de l’Est et les pays de l’Ouest européen en moyenne de 10 % par véhicule (impôts compris).

Comparer l’Inde et la République tchèque est pour le moins curieux : car le Président de la République ne peut ignorer que ce pays fait partie de l’Union et donc du marché unique européen. En clair, une entreprise est totalement libre de s’installer ou elle le veut pour produire ce qu’elle veut et vendre sa production là où elle le veut. Toute discrimination au sein de l’Union fondée sur la nationalité ou sur le lieu de production est donc totalement illégale. C’est même ce qui différencie l’Union du reste du monde et de l’Inde en particulier.

Alexandr Vondra, le vice-premier tchèque a réagi ce matin en dénonçant « un risque de protectionnisme accru » alors qu’on « entend dire qu’il faut acheter des voitures françaises fabriquées sur le sol français ».

Reste que cette sortie de Sarkozy est surtout destinée à caresser l’opinion publique dans le sens du poil. Car l’on voit mal comment un tel protectionnisme pourrait être mis en œuvre : limiter la circulation (par exemple en imposant des droits de douane ou en refusant l’aide de l’État aux constructeurs récalcitrant) des biens produits dans un autre État membre serait contraire aux règles européennes. En imaginant même que la France décide de quitter l’Union pour « protéger » son industrie, elle s’exposerait à des mesures de rétorsion. Le chef de l’État semble avoir oublié que son pays est à la fois l’un des premiers exportateurs mondiaux et récipiendaires des investissements directs étrangers… Mais comme il veut “plus d’Europe”, on n’ose imaginer qu’il caresse l’idée de la quitter ou de violer ses règles. Autant dire que ce sempiternelle exemple de la méchante délocalisation ne sert à rien si ce n’est à braquer les opinions publiques contre l’Union et les pays de l’Est. Une petite resucée du “plombier polonais”, en quelque sorte.

Cette poussée de protectionnisme hexagonal a déjà eu un signe avant-coureur : la grève des ouvriers de Total en Grande-Bretagne protestant contre l’embauche, par un sous-traitant du pétrolier français, l’Italien Irem d’ouvriers italiens et portugais sur le chantier d’extension de la raffinerie de Lindsey. Cette grève spontanée, qui s’est terminée jeudi, n’a été soutenue ni par les syndicats, ni par les pouvoirs publics britanniques. Mais Total a dû s’engager à réserver la moitié des emplois aux travailleurs britanniques… La Commission n’a guère apprécié ce mouvement teinté de xénophobie.

Bref, la concertation européenne devient urgente si l’on veut éviter ces poussées protectionnistes qui ne permettront pas de résoudre la crise actuelle. Le précédent de 1929, lorsque les économies ont achevé (le mouvement avait commencé avant la Première Guerre mondiale) de se refermer sur elle-même est là pour le prouver. Prague, qui exerce la présidence tournante de l’Union européenne, ferait donc bien d’attiser les feux européens, notamment en suscitant un plan de soutien à l’automobile. Car le brave Vonbra et son refus de tout interventionnisme étatique ont une grosse part de responsabilité dans l’agacement français et le fait que Nicolas Sarkozy ait choisi de citer la « Tchéquie » en mauvais exemple.

Jean Quatremer pour “les coulisses de bruxelles UE

merci à Section du Parti socialiste de l'île de ré