Dans Kaboul aux prises avec la guerre civile, l'héroïne passe ses journées au chevet de son mari dans le coma. Il meurt des blessures reçues au combat. Elle prie, égrène son chapelet, scande 99 fois l'un des noms d'Allah, souffle, recommence. Elle se berce au son de sa propre litanie. Elle craint ce corps inerte, lui murmure des choses insensées, jamais prononcées, fragments de tendresse, illusions perdues, frustrations. Une audace la tenaille, l'impatience monte en elle. Elle s'insurge de plus en plus, laisse des paroles âpres, folles s'échapper. Lui viennent alors des mots interdits, des mots rebelles. Elle apostrophe Dieu et son enfer, insulte les hommes, leurs guerres, maudit son époux, héros vaincu par son orgueil de mâle, son obscurantisme religieux. Elle lui en veut de l'avoir sacrifiée à la guerre, de s'être sacrifié lui-même. Elle lui parle de plus en plus. C'est une extraordinaire confession sans retenue qui lui permet de se libérer de l'oppression conjugale, sociale, religieuse. L'urgence et la nécessité de son émancipation sont amenées par toute une série d'incidents, intrusions menaçantes de la guerre dans un huis clos de plus en plus étouffant.
Son écriture sèche, précise rappelle celle du nouveau roman ou celle d'un scénario. Puis elle finit par s'enfler, et prendre des accents lyriques . Atiq Rahimi s'est fait lui-même pierre de patience pour recueillir et réinventer les douleurs et les révoltes des femmes de l'ombre, leur offrir une mémoire. Hymne à la liberté et à l'amour, la pierre magique un jour éclate en une belle œuvre faite à partir de toutes les vibrations de son pays.