Roman choral (on va veiller à ce que ça soit la dernière expression scolaire utilisée dans ce papier – juré), Oscar Wao est un livre aux résonances multiples – il est d'autant plus compliqué d'organiser le magma de notes & de références que j'ai sous le coude pour en sortir quelque chose de cohérent. Du moins de lisible. Je pourrais simplement commencer par le style de Díaz qui fit couler pas mal d'encre outre-Atlantique, qui est aussi à la source de son succès d'estime & critique que par chez nous, avec l'ironie & le cynisme qui nous caractérise, nous aurions sans doute qualifier de « roman de l'intégration » écrit dans la langue « composite d'une minorité visible ». Ce spanglish dont on a pas fini de chanter les louanges après en avoir fait des caisses avec l'ebonic, le Cosby Show & le Double-dutch dans les années 90. Il est là, paraît-il, le véritable angle de tir de ce roman tant attendu (Junot Díaz a mis onze ans pour l'écrire). Il est là, ce style spanglish dont Ilan Stavans considère, dans la PRL & repris dans Books, qu'il arrive à son apogée en ces pages. Oui, oui d'accord mais c'est quoi ce machin ? Ce truc si sensas que l'on doit aux porto-ricains débarqués à New York dans les années 50 (souvenez vous: les Sharks) & qui s'est infiltré dans toutes les sédimentations langagières des enfants du sous-continent américain. Car il y a un spanglish pour les portoricains de New York, un pour les mexicains de L.A., un pour les cubains de Miami & un pour les dominicains du New Jersey... paraîtrait même qu'à Gibraltar aussi, mais bon... C'est un idiome à l'évolution quasi perpétuelle comme tous les vernaculaires parlés d
Alors je me suis dit que le problème venait peut être de la traduction de Laurence Viallet. Il est franchement curieux qu'elle n'est rien trouvé d'autre que le verlan pour traduire le slang de Patterson & Washington Heights. Du verlan, du verlan & encore un bout siou plaît, surtout, mais je peux me tromper, qu'il s'agit là d'un usage linguistique assez caractéristique du nord de la France, voire même de la ceinture parisienne. Tout comme le mot « daron » utilisé par Viallet pour traduire « père » en langage djeun's 2 rue. Il y aussi ces mots tout simples du genre « maison », « fou » ou « animal » qui sont en français dans la traduction suivis d'un astérisque précisant que ces mots sont en fait en espagnol dans la version originale (????). C'est vraiment vraiment curieux, je ne vois pas bien l'intérêt d'une telle précision dans un texte qui, de facto, est bourré d'expressions dominicaines, espagnoles, de dialogues entiers qui, eux par contre, auraient sans doute mérité une note de bas de page. Histoire de comprendre. Mais bon, ce sont des détails qui n'entravent en rien la lecture du livre. Juste du poil à gratter.
Sinon j'ai vraiment eu le sentiment que La Vie Brève & Merveilleuse d'Oscar Wao se trouve, bel & bien, dans la continuité de l'histoire littéraire américaine. A l'image de son héros le livre de Díaz est un glouton référentiel qui ne cesse de montrer de quoi il est capable : bildungsroman, roman post-moderne avec ces notes en bas de pages (la plupart du temps un peu ennuyeuses & dont le principal atout est de faire enter la culture wikipedia dans un livre fait avec des vraies feuilles) à la manière de David
Mais plus que tout, Oscar Wao s'inscrit en plein dans la tradition américaine d'un « roman familial » qui remonte à Hawthorne & qui n'a cessé de se réamorcer & de s'amplifier, voire de s'aseptiser par endroits – là je pense notamment aux auteurs d'atelier dont les ficelles sont de plus en plus visibles /prévisibles & dont on dirait que la famille est le principal fond de commerce... Arbre généalogique>>> famille bourge & banlieusarde qui s'emmerde (Ice Storm de Moody), famille dispersée (Les Corrections de Franzen), famille amnésique (Tourmaline de Joanna Scott, Inversion de Brian Evenson), famille pléthorique (Les Cent Frères de Donald Antrim), Famille poussée sur la route (Les Raisins de la Colère de Steinbeck), famille anarchiste & vengeresse (Contre-jour de Thomas Pynchon), famille ardente (Ada de Nabokov), famille assise devant la télé (Souvenirs de mon Père de Curtis White), famille en fuite (Motel Life de Willy Vautrin), famille monoparentale (La Conjuration des Imbéciles de John Kennedy Toole), famille psychotique (Toutes les Familles sont Psychotiques de Douglas Coupland... même si il est canadien), famille massacrée (De Sang-froid de Truman Capote), famille impossible (La Lettre Ecarlate de Hawthorne, Ma vie, Ma Vie Magnifique de Lydia Millet, Inversion de Evenson, tout Fante ???), famille juive (Roth, Singer), famille noire (Richard Wright), famille apatride (Thomas Wolfe), famille italienne (Fante), famille indienne (Irwin Welsh), famille allemande (Erdrich) & donc, aujourd'hui, famille dominicaine.
L'assimilation culturelle & historique à l'air de se faire toujours plus rapidement aux États-Unis que partout ailleurs & plus particulièrement chez nous où l'absurdité constitutionnelle se posait encore la question des bienfaits de la colonisation & de ce qui en a suivi. C'est un peu dommage parce que si on doit se contenter des romans de Faïza Guene pour en savoir un peu plus... Ça m'a toujours laissé sur le cul cette faculté à rendre immédiatement une expérience collective & traumatisante (que ça soit ressenti au niveau de la particule élémentaire ou à celui de la nation entière) dans n'importe quel mode (film, disque, livre) & réussir à intéresser la moitié du globe avec. Comment se fait il qu'on se passionne autant pour la mort de Marilyn Monroe ? Pour le bordel que quelques ritals de New York ou Chicago ont bien pu faire ? Comment se fait-il que j'ai vu au moins cinq fois JFK d'Oliver Stone avec le même plaisir ? Comment expliquer que mon cousin soit capable de faire un classement de ses films préférés sur la guerre du Vietnam alors qu'il ne connaît même pas la date de Dien Bien Phu où son grand-père à perdu une jambe ? Quand l'esthétique & la sublimation totale de la courte, très courte histoire d'un pays s'enfoncent dans notre inconscient culturel & collectif. Quand on peut lire le récit d'une famille d'immigrés dominicains en comprenant de quoi il s'agit & en parvenant à en apprécier la forme on peut aussi légitimement se demander : est ce qu'un film sur la guerre d'Algérie fera un jour le tour des salles obscures du monde entier ? Est ce que des bouquins sur l'attentat du petit Clamard se vendront comme des petits pains dans les librairies du Dakota ou feront l'objet d'une chronique sur un blog californien? Encore une fois je trouve ça fascinant, cette machine typiquement américaine à compacter Histoire, variantes sociales, flou politique & identitaire. Junot Díaz, inconsciemment ou pas, fait aussi partie de cette grande parade réflexive sur l'histoire de son pays, des gens qui y vivent & de l'attrait qu'ils font naître chez nous. Comme un bon livre sur une famille d'immigrés dominicains vivant à Patterson dans le New Jersey. Ni plus ni moins.
M.A.C.P.L.A.
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Fausto: The Brief and wondrous Life of Oscar Wao