Une foule massacrée par l’armée le 7 février 2009, des dizaines corps calcinés retrouvés lors des émeutes du 26 janvier 2009… Un paysage de désolation dans un pays à l’excitation
politique récurrente mais avant tout en quête d’une démocratie adulte. Seconde partie.
Suite de la première partie de l’article.
Le 2 février 2009, malgré le faible nombre de participants, Andry Rajoelina lança une
procédure de destitution du Président Marc Ravalomanana auprès de la Haute Cour Constitutionnelle et des deux assemblées inféodées au parti présidentielle TIM.
Le président de la Haute Cour Constitutionnelle, Jean-Michel Rajaonarivony, lui répondit le 4 février que ce n’était pas à elle de destituer le Président mais aux assemblées et que sa mission « se
limite à la constatation de la vacance de la Présidence de la République après la mise en accusation par les deux assemblées parlementaires et le prononcé de la déchéance par la Haute Cour de
Justice » (en vertu de l’article 126 de la Constitution).
Le 3 février 2009, apparemment pour un motif futile en rapport avec sa gestion
communale (collecte des ordures), Andry Rajoelina fut destitué de son mandat de maire de Tananarive. Le
gouvernement nomma Guy Rivo Randrianarisoa président de délégation spéciale pour gérer la commune urbaine de
Tananarive (comme c’était le cas entre 2002 et 2007).
Cette décision ne fut pas très pertinente puisqu’à une
demande sans objet de destitution du Président, le pouvoir répondait à une destitution pure et simple du maire (Roland Ratsiraka a été destitué de la même manière à Tamatave il y a deux
ans).
Le 4 février 2009, Andry Rajoelina transféra cependant ses pouvoirs de maire à sa principale adjointe Michèle Ratsivalaka.
Le tragique samedi 7 février 2009, Andry Rajoelina réussit à rassembler 20 000 de ses
partisans pour faire lui-même la transition dit démocratique, se nommant à la tête de la Haute Autorité de Transition et désignant un nouveau Premier Ministre, Monja Roindefo Zafitsimivalo, jeune homme politique de la région de Tuléar (sud-ouest du pays) et fils d’un ancien
notable de la politique.
Hélas, Andry Rajoelina a voulu ensuite aller prendre possession des
bureaux du Président Marc Ravalomanana : « Ce palais appartient au peuple et à la commune. Je décide de le donner à la
primature » [siège du Premier Ministre].
Notons pour ceux qui ne connaissent pas la géographie de la ville (constituée de nombreuses collines) que le siège officiel de la Présidence de la
République est situé à douze kilomètres du centre ville, mais que les bureaux choisis par Marc Ravalomanana sont dans un bâtiment qui appartenait à la mairie, en plein centre du quartier
d’affaires (en fait, ses bureaux quand il était lui-même maire).
Ce samedi-là, Marc Ravalomanana n’était pas présent dans les locaux et la plupart des responsables de la sécurité étaient absents pour cause de
week-end.
La décision d’Andry Rajoelina d’aller vers les bureaux a révélé une
irresponsabilité inconcevable. Parmi ses partisans, il y avait un général qui connaissait très bien le principe de la zone rouge de sécurité autour des bureaux présidentiels. Andry Rajoelina
y a envoyé pourtant ses partisans et alors que sa radio affirmait sa présence près du bâtiment (ce qu’ont démenti de nombreux témoins), le leader s’est au contraire éloigné pour éviter d’éventuels tirs.
Le problème reste cependant entier pour savoir qui a donné l’ordre de tirer. Était-ce un sous-gradé de service ? était-ce à l’origine d’un
manque de sang-froid ? était-ce une décision présidentielle prise froidement ?
D’après des témoins, le premier cordon de sécurité chargé de protéger le palais aurait reculé face à la foule, mais pas le second. D’autres évoquent
des tireurs d’élite encagoulés qui auraient tiré sans sommation.
Dans tous les cas, il y avait moyen de s’opposer à ce mouvement de foule autrement qu’en tirant dans la foule, parfois dans le dos, parfois sur des personnes qui tentaient de secourir d’autres participants blessés voire tués. Aucun gaz lacrymogène. Aucune
barrière de barbelés pour éviter que le cordon de sécurité de la foule n’éclatât.
D’après les différents bilans, la journée du 7 février 2009
aurait coûté au moins 28 vies humaines et 212 blessés.
Le 8 février 2009, 5 000 Malgaches se recueillaient devant quatre corps des victimes dans un gymnase. On notait en particulier la présence de l’ancien Président Albert Zafy, 81 ans, lui-même destitué par les assemblées le 5 septembre 1996 et également opposant à Marc
Ravalomanana. L’archevêque de Tananarive, Odon Razanakolona, y a été conspué car il n’a pas voulu condamner de lui-même les événements. La position des Églises chrétiennes malgaches est assez floue dans la mesure où Marc Ravalomanana est très impliqué chez les protestants et Andry Rajoelina est
catholique (Benoît XVI s’est déclaré « vivement préoccupé »).
La Ministre de la Défense Cécile Manorohanta a de son côté démissionné et a été
rapidement remplacée par le vice-amiral Mamy Ranaivoniarivo. Le chef d’état-major général de l’armée malgache, général Lucien Rakotoarimasy, et son adjoint ont été immédiatement limogés par le
nouveau Ministre de la Défense qui a nommé pour leur succéder respectivement le général Edmond Rasolomahandry (qui a fait des missions de pacifications à Tamatave lors des troubles de 2002) et
Émilien Ramboasakala. Le désarroi après le massacre d’Ambohitsorohitra et les changements fréquents dans la
hiérarchie accroissent le mécontentement et entament la solidarité au sein de l’armée.
Le 10 février 2009, Andry Rajoelina organisa un nouveau rassemblement place du 13-Mai qui a réuni sous la pluie 5 000 partisans. Il y nomma quatre ministres. Il
comptait finaliser la composition de son gouvernement d’ici la fin de la semaine (ce gouvernement de
transition est illégal). Il a demandé que Tananarive soit "ville morte" ce 11 février 2009 tout en ayant donné l’autorisation aux partisans du parti présidentiel TIM de se rassembler eux-mêmes
dans le stade de Mahamasina pour célébrer l’anniversaire de l’assassinat du colonel Richard Ratsimandrava (le 11 février 1975, six jours après son accession à la Présidence malgache).
Le risque va donc être très fort que le lundi 16 février 2009, de nouvelles effusions de sang aient lieu dans le cas où les pseudo-ministres voudraient prendre place dans les vrais ministères.
Ou même hélas dès ce 11 février 2009 entre partisans d’Andry
Rajoelina (d’où son appel à la "ville morte") et partisans de Marc Ravalomanana (qui a demandé aux fonctionnaires de ne pas venir travailler ce jour).
Une communauté internationale en quête de médiation
L’émissaire des Nations-Unis Haïle Menkerios, sous-secrétaire
général de l’ONU en charge des affaires politiques, présent à Madagascar du 9 au 11 février 2009, a déjà rencontré plusieurs fois Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina.
L’Union Africaine va envoyer un émissaire à Madagascar, Amara Essy, ancien Ministre ivoirien des Affaires Étrangères.
Le Secrétaire d’État français à la Coopération et à la Francophonie, Alain Joyandet, est attendu ce 11 février 2009 à Tananarive. La France, dans ses relations avec Madagascar, a un rôle historique, mais se trouve actuellement sans ambassadeur. Le Président français Nicolas Sarkozy a eu l’occasion d’une brève rencontre avec Marc Ravalomanana le 11 avril 2008 à Paris alors que ce dernier était en escale de retour
d’Allemagne.
À qui profite le sang ?
A priori, à personne, mais ce qui est troublant, dans ces événements, c’est qu’Andry Rajoelina avait tout intérêt à l’épreuve de force au moment où
ses rassemblements s'essoufflaient. En agissant par des provocations qui ont abouti au massacre d’Ambotsirohitra, il a permis de redynamiser une opposition victime et martyre, réprimée par un pouvoir compromis alors que la réalité est beaucoup plus
nuancée.
Andry Rajoelina a joué avec le feu et ne cesse toujours pas, même après cette triste journée du 7 février 2009, de provoquer le pouvoir présidentiel
en nommant des ministres sans légitimité constitutionnelle. Pourtant, il avait la capacité de porter un message fort pour instaurer plus de démocratie et plus de liberté d’expression,
deux éléments qui ont été verrouillés par le pouvoir actuel.
En face, Marc Ravalomanana a, lui aussi, été peu brillant. Il aurait dû tout faire pour éviter le carnage. Il aurait aussi dû éviter la destitution
du maire (ce qui jetait inutilement de l’huile sur le feu) mais depuis le 3 février 2009, il est étrange qu’il n’ait pas mis Andry Rajoelina en état d’arrestation pour insurrection.
Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Les troupes de sécurité sont-elles pour l’opposition ? ou restent-elles fidèles et loyales au pouvoir constitutionnel ?
Ce qui est clair, c’est qu’aujourd’hui, les Malgaches semblent assez partagés entre les deux personnages, savent qu’ils sont tous les deux
ambitieux et qu’ils recherchent pouvoir et argent. Même au prix du sang.
Quelles solutions pour l’avenir ?
Décidément, voici un pays pourtant riche en ressources naturelles qui avait vraiment autre chose à faire qu’une guerre civile.
Y a-t-il des débuts de solutions à la crise actuelle ?
L’ancien Ministre des Finances, Benjamin Andriamparany Radavidson souhaiterait un gouvernement de redressement national qui assurerait la gestion du pays en garantissant la liberté d’expression,
la réforme du Code électoral et la lutte contre la corruption jusqu’à la fin du mandat présidentiel de Marc Ravalomanana.
Andry Rajoelina a, quant à lui, estimé qu’il faut soit accepter une période de transition, soit organiser une élection présidentielle anticipée
(auquel il n’aurait pas encore le droit de participer du fait de son âge).
Quant à Marc Ravalomanana, il a aujourd’hui toutes les cartes pour éviter la poursuite des effusions de sang qui ont choqué non seulement l’ensemble
du pays mais aussi le monde entier.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (11 février 2009)
Pour aller plus loin :
Inquiétude malgache (27 janvier 2009).
Blanc bonnet et bonnet blanc ?
Informations sur la situation à Madagascar.