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Au cours de son émission télévisée du jeudi 5 février, Nicolas Sarkozy a déclaré qu'il souhaitait aborder la « question du partage du profit » avec les syndicats lors d'une réunion prévue avec ces derniers le 18 février. Et il a précisé : « Je crois à la règle des 3 tiers. Sur 100 de bénéfices, il devrait y en avoir 33 aux salariés, 33 dans la poche de l'actionnaire et 33 qui doivent être réinvestis dans l'entreprise. » Ce faisant, il a certainement donné satisfaction à une large partie de l'opinion publique française qui est malheureusement nourrie d'une culture anticapitaliste que l'on enseigne dans les écoles, les universités et une grande partie des médias. Le profit y est considéré comme un gain obtenu par les capitalistes aux dépens des seuls individus productifs, les salariés, et la justice sociale imposerait donc à l'Etat, garant de l'intérêt général, d'assurer la redistribution de ce gain indu. Le président de la République n'a-t-il pas d'ailleurs ajouté qu'il lui semblait normal que les efforts faits par les salariés soient récompensés en obtenant une part du profit ?
Malheureusement, cette vision des choses est fantasmagorique. Il est attristant que, dans un pays comme la France, elle soit partagée par un président de la République pourtant élu par le « peuple de droite ». On est alors bien forcé de rappeler quelques vérités incontournables sur ce qu'est une entreprise. Le résultat de tout processus productif est nécessairement incertain et lorsqu'on lance un projet de production, on ne sait pas exactement quels seront les débouchés futurs et les prix obtenus. Le risque est donc inhérent à toute production et celle-ci ne peut avoir lieu que dans la mesure où quelqu'un prend le risque en charge. Tel est l'un des rôles fondamentaux du capitaliste, c'est-à-dire du propriétaire (ou des propriétaires) d'une entreprise. Il signe des contrats, en particulier, avec les salariés et les prêteurs. Les uns et les autres ont une plus grande aversion pour le risque que le capitaliste et ils préfèrent une rémunération certaine, garantie par contrat, à savoir le salaire pour les salariés et l'intérêt pour les prêteurs. Toute la valeur ajoutée par une entreprise est donc répartie entre ces trois catégories de rémunérations : les salaires et les intérêts - qui sont donc des rémunérations de nature contractuelle - et les profits - qui ont une nature résiduelle et qui existent seulement dans la mesure où la valeur créée par l'entreprise est supérieure aux rémunérations promises par contrat. Bien évidemment, ces profits peuvent être négatifs, au point même qu'il peut y avoir faillite et que le capitaliste perd tout ce qu'il avait mis dans l'entreprise.
Il n'y a pas de profit à partager, car, par nature, le profit ne se partage pas. Prétendre qu'il faut partager le profit n'a pas plus de sens que de dire qu'il faut partager les salaires ou partager les intérêts ! Il y a en effet un partage, prévu à l'avance, de la valeur ajoutée créée par l'entreprise, entre une part certaine et une part incertaine. Ce partage a été accepté à l'avance par les salariés à qui l'on a promis un salaire - dont les efforts sont donc bien récompensés ainsi - et par les prêteurs à qui l'on a promis un intérêt. Les prêteurs pourraient d'ailleurs décider de devenir actionnaires au lieu d'être créditeurs, mais leur aversion pour le risque les conduit à préférer une rémunération certaine, en renonçant à l'éventualité d'un profit plus élevé. De la même manière, les salariés préfèrent une rémunération certaine, sinon ils auraient créé leur propre entreprise. Et de toutes manières, s'ils souhaitent prendre en charge une certaine part de risque, il leur est toujours possible d'acheter des actions soit de leur entreprise, soit d'une autre entreprise (ce qui serait d'ailleurs préférable parce qu'il est toujours plus prudent de ne pas « mettre tous ses oeufs dans le même panier »).
Ce partage des rôles n'a pas été décidé par un quelconque architecte social. Il a été sélectionné peu à peu au cours de l'histoire parce qu'il correspondait à la forme d'organisation sociale la plus efficace, celle qui a été préférée par tous, producteurs ou épargnants. Il est donc infiniment dangereux de vouloir menacer d'en haut, de manière arbitraire, cet extraordinaire équilibre qui a fait le succès du capitalisme et qui a permis l'enrichissement de tous. Il faut bien voir en effet que les préoccupations des différents participants à la vie de l'entreprise ne sont pas identiques. En effet, les propriétaires des entreprises ont intérêt à maximiser leurs gains sur le long terme, alors que les salariés ont intérêt à maximiser les gains de court terme : si l'entreprise où ils travaillent fait faillite, ils doivent certes supporter le coût d'une réinsertion, mais leur capital humain n'en est pas détruit pour autant. De toutes manières, étant donné qu'aucun salarié n'est sûr de rester longtemps dans la même entreprise, il n'a aucun intérêt à sacrifier le court terme pour le plus long terme. C'est d'ailleurs ce mode de raisonnement tout à fait rationnel qui a conduit, par exemple, les managers des banques (salariés et non capitalistes) à maximiser leurs bonus dans le court terme, avec les conséquences que l'on connaît. Les capitalistes, en revanche, ont intérêt à la survie de leur entreprise, mais encore faut-il que le profit soit suffisant pour les inciter à conserver leur rôle. Il est donc mal venu de vouloir réduire la part des profits pour l'attribuer aux salariés. En poursuivant dans cette voie, on condamne le capitalisme. Et lorsqu'il n'y aura plus de capitalistes, il n'y aura plus d'emplois !
Ces principes sont tellement importants, tellement éternels que l'on est saisi de stupéfaction en apprenant qu'ils pourraient être mis en question lors d'une négociation entre le gouvernement et les syndicats. Les principes ne se négocient pas. Et s'il y a une urgence, dans la situation de crise où nous nous trouvons, mais aussi dans la situation de langueur économique dans laquelle notre pays se traîne depuis des décennies, c'est de restaurer un vrai capitalisme, respectueux des uns et des autres et seule source possible de prospérité pour tous.
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A tout cela je n'ai finalement qu'une remarque. Cet équilibre présenté entre prise de risque et rémunération de la prise de risque s'avère aujourd'hui mis à mal par les sauvetages en règle des États. L'actionnaire, l'investisseur fautif se voit du même coup dédouaner de toutes notions de responsabilités sur la perte. Cet équilibre, solide fondation sur laquelle repose le capitalisme se fissure, ouvrant la voix à une nouvelle mouture du système. Évolution ou bulle, l'avenir nous le dira.