Un an plus tôt, en effet, Jacques Chirac avait refermé la porte au nez de tous ceux qui le pressaient de réduire de sept à cinq ans la durée du mandat présidentiel, pour supprimer, autant que possible, les effets délétères des cohabitations à répétition. Dès le mois de mai 1997, une belle brochette de constitutionnalistes - Guy Carcassonne, Olivier Duhamel, Yves Mény, Hugues Portelli et Georges Vedel - avaient fait du quinquennat l'une des cinq réformes-clés de leur appel à "changer la République". Puis les politiques avaient pris le relais, de Philippe Séguin à Valéry Giscard d'Estaing, en passant par François Bayrou, Alain Juppé ou Pierre Mazeaud. A tous, le 14 juillet 1999, Jacques Chirac avait sèchement répliqué : "Le quinquennat serait une erreur, et donc je ne l'approuverai pas."
Il en fallait plus pour désarmer Valéry Giscard d'Estaing. Outre les soutiens nombreux à l'UDF et croissants au RPR, il sait que les socialistes n'y sont pas défavorables. Lionel Jospin en avait fait l'une de ses promesses de campagne en 1995. Et, le 28 juillet 1999, Laurent Fabius, alors président de l'Assemblée, a confié au Monde un plaidoyer brillant pour "récuser aussi bien le septennat de convenance (celui de Chirac) que le quinquennat de vengeance (celui de Giscard)" et défendre le principe d'un "quinquennat de cohérence".
L'ancien président choisit donc soigneusement le moment et la tactique pour relancer son offensive. Le 10 mai 2000, dans un long texte intitulé "Et maintenant, le quinquennat !", il développe de façon très charpentée les arguments qu'il a déjà esquissés, la veille, dans l'hémicycle du Palais-Bourbon archicomble, en annonçant qu'il déposait une proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer le quinquennat.
A ses yeux, "le calendrier est favorable" (deux ans avant la prochaine élection présidentielle), "l'opinion publique est massivement acquise, la plupart des dirigeants politiques viennent de prendre position" en faveur du quinquennat, bref, "il reste à engager la démarche", en levant toutes les objections. Pour écarter tout procès d'intention, il affirme d'abord que "la réforme ne s'appliquera pas au mandat en cours du président Jacques Chirac". A ceux qui craignent que le quinquennat change la nature de la Ve République et "nous entraîne vers un régime présidentiel", il répond nettement que "ce n'est pas l'objectif" et qu'il faut s'en tenir dans l'immédiat au "quinquennat sec". Quant à la procédure proposée, elle est aussi redoutable qu'inusitée : il suggère que le Parlement prenne l'initiative de cette réforme, ce qui déboucherait obligatoirement, après adoption du texte par les deux Chambres, sur un référendum dont il n'imagine pas que Jacques Chirac puisse "différer" l'organisation.
C'est du grand art. Et le chef de l'Etat comprend immédiatement qu'il ne pourra pas se mettre en travers. En quelques semaines, conjointement avec le premier ministre, Lionel Jospin, il reprendra à son compte l'initiative, un projet de loi sera adopté par l'Assemblée nationale et le Sénat, et Jacques Chirac annoncera, le 14 juillet, son intention de faire ratifier cette réforme par un référendum. Ce sera chose faite dès le 24 septembre, au prix d'une abstention record (69 %), tant il est clair pour les Français que ce vote est une formalité.
Il est vrai que, dans cette affaire, Jacques Chirac n'a guère trouvé de renfort pour bloquer l'offensive. Le 19 mai, le député UDF Hervé Morin dénonce bien, toujours dans ces colonnes, le "coup politique" de Valéry Giscard d'Estaing, qui réglerait ainsi "de vieilles rancoeurs personnelles". Le 22 mai, le professeur Philippe Ardant juge que le quinquennat est "la mauvaise solution d'un faux problème". Le 31 mai, l'ancien ministre communiste Anicet Le Pors déplore "la confusion constitutionnelle" provoquée par ce débat. Le 22 juin, Marie-France Garaud fustige "les fourberies du quinquennat". A la veille du scrutin encore, le 23 septembre, l'historien René Rémond met en garde les électeurs contre les bienfaits supposés et trompeurs du quinquennat.
Mais ces voix pèsent peu face aux grandes orgues des principaux caciques de droite comme de gauche. Y compris ceux qui, comme François Bayrou, le 13 juin, ou Edouard Balladur, le 12 septembre, soutiennent le quinquennat mais plaident déjà pour franchir une étape supplémentaire vers un vrai régime présidentiel.
Reste une question qui va surgir dès le lendemain du référendum : le hasard du calendrier électoral fait que, en 2002, les législatives sont prévues en mars, quelques semaines avant la présidentielle. Va-t-on maintenir ce "calendrier dingo", selon la formule de François Bayrou, au risque de faire dépendre l'élection du président de celle du Parlement ? Les mêmes acteurs se remettent à l'ouvrage. Dès le 13 octobre, Guy Carcassonne, Olivier Duhamel et Georges Vedel reprennent la plume pour inviter à "ne pas voter la tête à l'envers" : "Une présidentielle juste avant les législatives garantit mieux la cohérence majoritaire", assurent-ils. Il convient donc d'inverser le calendrier électoral de 2002.
Pendant tout l'automne, les arguments seront échangés, avant que Lionel Jospin ne brusque le mouvement et ne soumette un texte en ce sens à l'Assemblée le 19 décembre. Le même jour, Valéry Giscard d'Estaing porte l'estocade, dans Le Monde : "Dans le pays de Descartes, il paraît évident qu'il faut commencer par l'essentiel avant de se prononcer sur l'accessoire." Jacques Chirac a beau faire, dénoncer cette "combinaison" et tenter de mobiliser le Sénat, il a perdu la partie. L'ironie de l'histoire est qu'il sera le dernier à s'en plaindre, dix-huit mois plus tard !
Gérard Courtois
Article paru dans l'édition du 23.08.07