La tempête a tout raclé, matinée nuit mêlées, on ne sait plus quand on est. Les tuiles se sont renversées par devant, ont freiné leur chute contre le mur décrépit. Les volets ont claqué, ils se sont ouverts grands et la vision du ciel par devant, éclairé par le vide, en pleine encre-minuit. Dans les rues le ciel noir, on y marche de côté pour résister aux rafales. L'église St-Eustache dévalisée, la tête devant décapitée (les pillards virent macro-trafiquants), la rue devant inondée : on a fermé les portes des Halles, les égouts remontés, on a fermé les grilles, on a sacrifié ceux qui erraient encore entre les escalators, les vitrines et les soldes (ce soir c'est fini, dernière démarque pour les intempéries). Les semelles, sur les trottoirs de la rue Berger, elles s'y enfoncent sur plusieurs centimètres, sentir ses pieds (os) se liquéfier au contact. Les conducteurs abandonnent leurs voitures au milieu des boulevards, les tôles frôlées, retournées entre les feux ; la police battue d'avance, les rollers, les vélos, ils ne roulent plus. Les cadavres commencent à remonter par plaques, ils ondulent au fil de l'eau, membres entremêlés contre les grilles closes (avez-vous vu Titanic ?). Les fous se jettent des immeubles et s'enfoncent plats dans le volume croissant des rues stagnantes.
Sur la pente des collines où les dénivelés sauvent encore, les silhouettes fuient par le haut, ils traquent la cime la plus proche. Ils s'écartent des grands axes, déjà condamnés, les plaques d'immatriculation dérivent et, qui sait, peut-être, un Titanic qui flotterait par dessus, entre les deux rangées d'immeubles, les façades raclées par la proue, fenêtres battues, mises en pression, la carcasse poussée par le vent (avez-vous vu Le jour d'après ?), celui, dit-on, de plus de deux-cent-quatre-vingt kilomètres heure. Les fuyards remontent des quais (les marches, les marches à enjamber), ils s'égosillent en trottinant (peu productif), bientôt les rafales les rattrapent et les déposent où le vent les portera ; il les désosse en traversant, les corps s'empilent les uns sur les autres, les jambes privées d'articulations. Les chairs sont mortes et ne tiennent plus, les cuisses reportent le poids (du corps) sur les mollets, les mollets sur les orteils, les orteils sur les pavés ; les muscles se contractent pour maintenir l'équilibre mais le vent se retourne et achève. Comme des quilles ils tombent et ils roulent, dévalent l'eau glacée, puis s'enfoncent, s'engluent lourds dans les bas-fonds pavés, les noms de rues sous l'eau se dressent, ce sont les dernières lettres qu'ils trouvent avant la mort.
L'homme, par dessus l'escalier qu'il avale, se laisse déposer par l'air libre et se désarticule à son tour : haleté-pressé il s'essouffle contre les derniers dénivelés, retombe sur sa carcasse qu'il balance par devant : le mouvement loupe et ses chairs mortes retombent vers l'arrière, corps éparpillé, des billes qui roulent sous les marches et s'évadent aux carrefours qui jouxtent, il était pourtant proche, si proche, d'atteindre d'un pouce la rambarde sur sa gauche : les mains chaudes au sommet ne l'ont pas rattrapé, les réfugiés des cimes sont restés entre eux et l'ont vu se briser sur les marches, ils ont vu les morceaux fractionnés gicler par dessus, puis retomber plus loin : ils n'ont pas bougé, ils ont entretenu le feu entre leurs jambes (tailleur), ils ont brûlé des palettes encore, la fumée noire au dedans à pleins poumons, ils ont dit c'est comme ça.
Passé midi le vent ne siffle plus mais ramène à l'envers les cadavres mous qui baignent dans les caniveaux. Au détour des rues asséchées, des carrefours : des membres orphelins, des chaussures. Le silence, par dessus, un moment. L'église St-Eustache, éventrée par l'avant, résonne des tais-toi et souffle, le son craqué sévère dans l'acoustique, la tête sur le parvis manquante, ne restent que les vis énormes qui sortent du béton, jadis une fixation. Plus loin les quais de gare recrachés par l'asphalte qui a crevé sous la pression, les gares de l'envers se soulèvent, les rails tordus et autour : la courbe extérieure où les moignons bourgeonnent.