Étudier les parties commentées des grands maîtres – par exemple, une victoire du grand Alekhine – vaut les meilleures leçons. Se rappeler que, si un cavalier est en théorie légèrement inférieur à un fou, en placer un au centre de l’échiquier dans une position imprenable (cf. fin de partie ci-dessous) constitue un avantage souvent décisif. Ne pas oublier, également, qu’occuper une colonne dégagée, puis, pour les blancs, la septième ligne, est a priori annonciateur d’un mat en bonne et due forme. C’est armé de ces quelques grands principes que, le lendemain même de la mise en ligne du billet précédent, j’ai battu Little Chesspartner pour la deuxième fois. Voici la position qui m’a assuré la victoire (le coup précédent était Dd1-h5+, les noirs sont en mauvaise posture) :
Et voici l’inéluctable déroulement des opérations :
1…Fh6
2.Cg6+
C’est le coup crucial. Bien sûr, après l’arrivée de la dame blanche en h5, les noirs étaient déjà condamnés. Mais la bestiole a du répondant – il ne fallait surtout pas se rater.
2…Rg8
3.Cxf8 Tb7
Ici Little Chess Partner, qui aurait dû abandonner – mais ses programmes le lui interdisent –, tente lamentablement de gagner du temps. J’ai testé la même position avec un autre logiciel (GNU Chess 5.0), et il donne la même inutile réponse (bien qu’ensuite il repousse le mat d’un coup supplémentaire en jouant un pion plutôt que le roi).
4.Txb7 Rxf8
5.Df7++
Impressionnant, non ?
Lassé de ce trop faible adversaire, je joue désormais contre l’implacable Crafty – un tueur parmi les tueurs –, sans être sûr de pouvoir le battre un jour.
***
Mais trêve de plaisanterie. Dans quelques jours, je reviens aux choses sérieuses. Bizarrement – grâce, peut-être, à mes récentes lectures nabokoviennes (Lolita, La méprise, La défense Loujine –, cette nouvelle plongée au cœur de l’échiquier m’a rappelé que je n’avais jamais achevé mon étude un tantinet psychotique de La Mémoire du Vautour de Fabrice Colin. Je m’y suis donc remis, avec une facilité presque déconcertante, comme si ce livre lu il y a plus d’un an et demi ne m’avait jamais quitté. J’ai même été stupéfait, en reprenant mes nombreuses notes – La Mémoire du Vautour en détient le record, avec Infabula d’Emmanuel Werner, qui d’ailleurs n’est très probablement qu’un double de Colin –, de découvrir que le titre de mon seul texte de fiction achevé à ce jour – dont nous reparlerons à sa sortie et dont le premier jet est pourtant fort ancien –, aurait parfaitement pu être celui de cet étrange et beau roman, hélas resté incompris de ses trop rares commentateurs. Aurais-je tendance à n’analyser les œuvres qu’à la lumière de mes propres obsessions ? Peut-être. Mais je crois plutôt que je m’intéresse avant tout aux œuvres qui d’une manière ou d’une autre – évidente dans le cas de La Mémoire – font écho à ces obsessions qui désormais ne me quittent plus et qui forment la matière même de mes écrits à venir. Vous le constaterez vous-mêmes du reste, puisque, vous le verrez, la clé de voûte de mon interprétation, loin de n’être qu’une projection de mes seules préoccupations, s’avère in fine spécifique à Fabrice Colin, en cohérence avec l’ensemble de son œuvre littéraire…