Roman et non pièce de théâtre de Tennessee Williams, ce qui est rare dans ses adaptations au cinéma, on dit que l’écrivain avait un faible pour ce film avec le personnage de Karen Stone qui lui ressemble comme une soeur. Tennessee Williams souffrait, telle Vivien Leigh à l’époque du tournage, d’être incapable de faire le deuil de sa jeunesse, «les beaux ont leurs lois» dit Karen Stone dans le film en parlant de Paolo, le gigolo… Vivien Leigh, déjà malade d’une tuberculose qui allait l’emporter quelques années plus tard, venait de divorcer de l’homme de sa vie, l’acteur Sir Laurence Olivier. En empathie naturellement avec le rôle, elle réalise une prodigieuse et poignante composition de femme vieillissante en proie au désespoir et au désir, coupable à la fois de n’être plus désirable et de désirer encore. Un registre qu’elle avait magistralement inauguré peu de temps auparavant dans le rôle de Blanche Dubois d’« Un Tramway nommé désir » de TW. Il faut observer l’actrice se regarder dans un miroir et se perdre avec l’incommensurable tristesse de se voir comme elle est devenue, sa beauté et sa jeunesse disparues, le regard dans un ailleurs sans retour, une bouleversante interprétation de Vivien Leigh.
Karen Stone (Vivien Leigh), actrice déclinante, se rend compte avec lucidité de la médiocrité de sa prestation dans sa dernière pièce à Broadway. C’est surtout l’âge du rôle qu’elle n’a plus, comme le lui fait remarquer Meg, son ancienne camarade de collège qui ne la ménage pas. Karen demande alors à son mari et producteur de ses spectacles de retirer la pièce de l’affiche et de partir ensemble en voyage. Malheureusement, dans l’avion de New-York à Rome, son mari meurt d’une crise cardiaque en vol, Karen arrive donc seule en Italie.
-----
photo Warner
Installée dans un bel appartement surplombant la piazza del Spagna, Karen Stone sait qu’elle n’est pas loin de «partir à la dérive» selon ses propres mots. Repérée par la fausse comtesse Gonzales, redoutable mère maquerelle qui vend des gigolos aux riches et vieilles américaines en séjour à Rome, surnommées «les louves», Karen fait la connaissance du beau et indolent Paolo di Leo (Warren Beatty). Persuadée qu’elle doit être aimée pour elle-même ou plus du tout, Karen résiste le temps qu’il faut pour tomber irrémédiablement amoureuse de Paolo, aussi stupide que cupide. Si Paolo est tenté dans un premier temps d’admirer la grande dame en Karen, leur première nuit ensemble sonnera le glas de cette relation d’estime. Le lendemain du début de l’intimité entre les deux, Karen porte exceptionnellement un tailleur rouge sang et sort de l’institut Elisabeth Arden, ayant changé de coiffure pour une coupe plus courte. Une relation de quiproquos virant à l’humiliation réciproque s’installe lentement dans ce couple improbable : elle se moque de lui quand il frime avec les costumes en cashemere qu’elle lui offre, il la remet durement à sa place quand elle joue les jeunes filles énamourées.
En parallèle, du début à la fin du film, un jeune clochard, installé sous ses fenêtres, épie Karen quand il ne la suit pas dans la rue, une métaphore assez simple du visage de la mort quand la traduction française alerte de « The Roman Spring of Mrs Stone » est « Le Visage du plaisir ». Le prix du plaisir, à l’âge de Karen, ce serait donc la mort de la jeunesse et des illusions, un désir non assumé, la mort dans l’âme. Ce qui caractérise les personnages de ce film, c’est la non acceptation de leur condition : si il n’est plus à démontrer que Karen Stone/Vivien Leigh ne supporte pas de vieillir, le personnage de Paolo ne supporte pas sa condition sociale, même adoucie par l’argent des généreuses donatrices, il appelle plusieurs fois le glorieux passé de Rome à la rescousse pour l’opposer à l’envahisseur américain. Warren Beatty, dont c’était le second grand rôle au cinéma après « La Fièvre dans le sang », avait également quelque chose de commun avec son personnage : malgré les apparences, il n’était pas devenu star du jour au lendemain (frère de Shirley Mac Laine et petit ami de Natalie Wood), au contraire, il avait passé des années à galèrer à NY avant d’être reconnu, une reconnaissance qu’il attendrait encore après ce film très mal accueilli par la critique.
photo Warner
José Quintero, metteur en scène de théâtre, réalisait ici son premier film, on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un génie de l’image mais la réalisation est honnête et surtout la direction d’acteurs exceptionnelle. On peut être agacé par l’accent italien en parlant anglais auquel s’applique exagérément Warren Beatty mais dans l’ensemble, le casting est impeccable dont le second rôle de la comtesse Gonzales (Lotte Lenya), primé aux Oscars. On note Jill Saint John dans le rôle de Barbara, la jeune actrice rivale de Karen Stone, une pimpante jeune femme aux cheveux roux carotte qui, pour l’anecdote, restera toute sa carrière dans l’ombre de Natalie Wood, sa meilleure amie, et épousera d’ailleurs son mari après que cette dernière se soit tragiquement noyée sur leur bateau.
Vivien Leigh a fait preuve d’un courage admirable pour avoir accepté par deux fois de jouer, en miroir avec le déclin de son existence, ces femmes trop jolies, au seuil de la date de péremption de leur jeunesse, niant la fin de leur séduction. La voix de l’actrice, grave, rauque, éraillée, est infiniment touchante, ses manières de vieille petite fille modèle dans une garde-robe somptueuse en font une icône à la "Sunset boulevard" version pastel. Ah, la garde-robe de l’inconsolable Karen Stone, en ravirait plus d’une : manteau en satin doré, robe en soie mordorée, manteau en soie brochée bleu Nattier avec sac du soir assorti, divine robe mauve en mousseline avec escarpins en satin mauve, tailleur bleu ciel et accessoires blanc crème, robe longue drapée en crêpe vert amande, déshabillé et mules en satin ivoire, robe en soie beige chair (la dernière). Une poupée triste et désespérée refusant l’image que lui renvoie son miroir. Pour une fois, en 1961, la fin du film est courageuse, est-ce la noirceur de cet aller simple pour les enfers qui a privé le film de succès à sa sortie, c’est bien possible….
Un remake du film a été tourné récemment (2003) avec Helen Mirren, Olivier Martinez et Ann Bancroft.
DVD issu du coffret Tennessee Williams avec 5 films : «The Roman spring of Mrs Stone», «Un Tramway nommé désir », «La Nuit de l’Iguane», «Une Chatte sur un toit brûlant» et «Doux oiseaux de la jeunesse» . Ce coffret ne contient malheureusement pas "Soudain l'été dernier".
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 27 mai à 22:58
Je me permets de souligner une petite erreur dans le résumer du roman "le preintemps romain de Mrs Stone" : le Mari meurt dans l'avion qui va de Rome vers Athènes...