(dépêche)
Cynisme mortel
LE MONDE | 09.02.09 | 14h00 • Mis à jour le 09.02.09 | 14h00
Edito du Monde
L'un des pays les plus pauvres du monde est dans la tourmente : Madagascar. La Grande Ile n'en avait pas besoin. Lancé à l'assaut d'un pouvoir impopulaire mais élu, confronté à une baisse
d'intensité de son mouvement, Andry Rajoelina, le maire de la capitale, Antananarivo, n'a trouvé qu'une issue : envoyer la foule de ses partisans à la mort. Vingt-huit d'entre eux ont payé de
leur vie, samedi 7 février, le cynisme de cette stratégie du "casse-pipe". En incitant les manifestants, rassemblés pacifiquement le matin, à marcher ensuite sur le palais présidentiel, M.
Rajoelina, autoproclamé "responsable suprême", a pratiqué une fuite en avant qui risque de rendre tout à fait incontrôlable une situation malgache déjà délétère.
Le maire, qui s'est gardé de participer au défilé, ne pouvait ignorer ce qui allait se passer lorsque la foule franchirait la "zone rouge" bordant le bâtiment présidentiel. Il savait que l'armée
et la police étaient restées fidèles au président Marc Ravalomanana, et se souvenait que l'histoire malgache a été jalonnée de répressions aveugles. En 1991, le président Didier Ratsiraka avait
fait tirer sur les "marcheurs de la liberté", causant des dizaines de morts dans des circonstances analogues.
Tirer sans sommation sur une foule désarmée pour protéger un bâtiment où le président n'était, semble-t-il, pas présent est évidemment inacceptable. Les innombrables chaussures et casquettes
orange, la couleur des partisans du maire d'Antananarivo, qui jonchaient le parvis du palais présidentiel après la fusillade témoignent de la soudaineté de la répression et de la terrible panique
qui a suivi. La décision du maire de forcer le destin est d'autant plus cynique qu'elle est intervenue à un moment où semblait s'ébaucher un dialogue. Le drame risque de rendre difficile toute
discussion entre un pouvoir crispé et une opposition révoltée par le bain de sang. Il risque d'entraver l'ouverture d'un véritable débat sur les dérives d'un président-businessman qui confond le
pays qu'il dirige avec les entreprises qu'il possède.
Alors que le maire parie sur un crescendo de violence, c'est une stratégie inverse qu'il faudrait s'attacher à défendre. La France, ancienne puissance coloniale, marche sur des oeufs à
Madagascar, mais elle a raison de prôner un "dialogue pacifique" qui pourrait s'amorcer avec l'arrivée sur la Grande Ile d'un représentant des Nations unies. Ces événements tragiques l'ont montré
: Madagascar ne sortira pas de la crise sans une médiation internationale.
Article paru dans l'édition du 10.02.09