J’avais comme un gros noeud dans l’estomac en entrant dans la salle de cinéma ce soir.
Le drame de la Poly, je l’ai vécu à quelques kilomètres de là en ce 6 décembre 1989. J’étudiais alors à l’UQAM et je déconnais avec des amis (dont ma nouvelle blonde Epicure) dans le local étudiant quand une amie nous a annoncé ce qui venait de se passer. Je me souviens qu’une grande tristesse avait enveloppé notre quotidien au moins jusqu’aux vacances des fêtes.
Je ne vous apprendrai donc pas que Polytechnique est un film triste. Ce n’est pas un film divertissant que vous aurez plaisir à voir et revoir. Personnellement, j’ai surtout trouvé ce film suffocant, dur, sensible et beau. Tout cela à la fois.
Suffocant, car nous savons dès la première seconde ce qu’il va se passer. On n’y échappe pas. On voit Lépine bouffer ses céréales, rédiger sa lettre “justificative”, préparer son arme. On voit les étudiants de génie mécanique se diriger tranquillement vers leur salle de classe, se taquinant, se demandant s’ils seront au party quelques heures plus tard. Ouf…
Dur, car il s’agit tout d’abord du récit d’un fou qui règle ses comptes avec les femmes d’une manière extrêmement violente. Le voir abattre ses victimes à bout portant est à la limite du supportable. Dur, car ces femmes innocentes se trouvaient tout simplement au pire endroit dans le monde à ce moment précis.
Sensible, car on sent que le réalisateur Denis Villeneuve a viré son film dans tous les sens avant de le présenter à un public déjà à fleur de peau. Chaque plan est soigneusement bâti pour nous faire pénétrer à chaque occasion un peu plus dans l’âme des personnages, bons et mauvais. Je me souviens que je n’avais pas aimé Elephant, le film de Gus Van Sant auquel Polytechnique a été souvent comparé, justement car le film se regardait avec un tel détachement qu’on avait de la difficulté à éprouver quoi que ce soit malgré les événements relatés. Polytechnique est plutôt à l’opposé à mon avis.
Oui, malgré son sujet, Polytechnique est un beau film. Bien orchestré par Villeneuve, superbement photographié par Pierre Gill, subtilement mis en musique par Benoît Charest et magnifiquement joué entre autre par Karine Vanasse, Sébastien Huberdeau et Maxime Gaudette, qui donne froid dans le dos avec son regard vide et fataliste au moment où il s’apprête à accomplir son “oeuvre”. Et, hormis les scènes de violence (il y en a somme toute - et heureusement - très peu), Polytechnique regorge de moments poétiques qui évoquent une tristesse omniprésente mais presque “zen”. Ceux qui ont vu le film comprendront sans doute un peu mieux ce que je veux dire.
Bref, j’ai beaucoup aimé Polytechnique. Il s’agit pour Villeneuve d’un film beaucoup plus achevé qu’ Un 32 août sur terre et Maëlstrom, qui m’avaient tous deux laissé sur mon appétit. Et les choix qu’il a fait pour traiter un sujet aussi casse-gueule méritent toute notre admiration.