Depuis plusieurs semaines, le monde de l'enseignement supérieur et de la recherche se
rebelle :
IUT en grève, front très large hostile à la réforme de l'accès au métier des enseignants, motions en nombre contre le projet de décret transformant le statut des enseignants-chercheurs,
protestations de présidents d'universités contre la dotation budgétaire prévue par l'Etat, lettre ouverte de la conférence des présidents d'universités à Nicolas Sarkozy, motion unanime du
Conseil national des universités, prises de positions des instances scientifiques d'organismes, moratoire des expertises, et maintenant appel à la grève reconductible pour le 2 février...
Comment interpréter une telle levée de boucliers, alors que Nicolas Sarkozy et Valérie Pécresse ne cessent de se féliciter des milliards d'euros qui inonderaient ce secteur ? Bien que le
président se soit engagé à augmenter le financement de l'enseignement supérieur et de la recherche de 1,8 milliards par an (hors "plan campus"), c'est le secteur qui supporte les plus fortes
annulations de crédits en 2008 (450 millions) ! Les budgets 2008 et 2009 stagnent en euros constants, exception faite des sommes pré-affectées pour combler le retard en matière de retraites.
Plus de mille emplois seront perdus en 2009.
Quant au très contesté "plan campus", même les parlementaires UMP doutent que les sommes réellement débloquées soient celles qui ont été promises. Le seul financement en très forte croissance est
le crédit-impôt recherche des entreprises, sans qu'on ait la moindre étude fiable montrant l'efficacité de ce dispositif pour la recherche privée.
La "réforme" Libertés et responsabilités des universités (LRU), passée dans l'urgence à l'été 2007, loin de répondre aux problèmes existants, en crée de nouveaux, ce qui avait conduit le parti
socialiste à voter contre cette loi. Le contexte budgétaire aggrave cette situation. A la réception des dotations pour 2009, et des prévisions pour 2010 et 2011, et en raison des transferts de
charges de l'Etat vers les universités induites par la mise en place de la loi LRU, la réalité telle que les universités la vivent est toute différente : de nombreuses universités vont
voir leur budget baisser en 2009.
Alors faut-il s'étonner de la crise des IUT ? Alors qu'auparavant les IUT (qui font partie des universités) bénéficiaient d'un budget qui leur était directement attribué, prenant en compte leurs
spécificités, dorénavant, c'est leur université de rattachement qui en dispose et peut donc décider des crédits alloués aux IUT... et éventuellement les raboter pour améliorer à la marge le
financement d'autres filières encore plus sous-financées.
Le passage en force systématique du ministère a conduit à des protestations très larges contre le projet de réforme de la formation des enseignants, contre la reconnaissance des diplômes profanes
des instituts catholiques comme diplômes nationaux et contre le projet d'un nouveau statut des enseignants-chercheurs. Ce dernier, sous couvert de "modulation", prévoit d'augmenter fortement le
service d'enseignement des universitaires qui seraient moins bien évalués en tant que chercheurs.
Personne n'est dupe : la décision finale, qui est l'apanage du président d'université, serait prise à n'en pas douter en fonction des tâches d'enseignement à assurer et non de la qualité de la
recherche. Et ce, alors que la qualité des processus d'évaluation se dégrade. Non content de considérer l'enseignement comme une sanction, le gouvernement traite la recherche universitaire comme
une variable d'ajustement.
La "réforme" des organismes de recherche se fait sans la moindre concertation, alors que les instances scientifiques et les organisations représentatives ont fait nombre de propositions. Ils sont
progressivement privés des moyens structuraux et financiers pour mettre en oeuvre une politique scientifique dans la durée. Les UMR (Unités mixtes de recherche) entre organismes et universités
sont mises en cause, et dans leur nombre, et dans leurs possibilités d'action. Le vieux projet de la droite de casser le CNRS est en marche. Cela converge vers une prise en main directe du
pouvoir politique sur les orientations de recherche, laquelle est explicitement revendiquée par Nicolas Sarkozy, en contradiction avec les pratiques des grands pays de recherche.
Pour le parti socialiste, cette situation est insupportable à la fois du fait du profond mépris du gouvernement à l'égard de tous ceux qui ont à coeur de faire fonctionner les laboratoires, les
universités et les organismes, et aussi en raison de la gravité de ses conséquences pour l'avenir du pays. Nous voulons proposer un avenir à nos universités, nos laboratoires publics et privés et
ceux qui en font partie. Cet avenir, il doit être construit collectivement, notamment au travers des batailles qui se mènent aujourd'hui. C'est pourquoi le parti socialiste a décidé d'initier une
convention sur l'enseignement supérieur et la recherche.
Nous souhaitons organiser ce processus largement ouvert en lien avec les autres partis de gauche, et en interaction avec toutes les associations et syndicats. Tout d'abord, un audit de la
situation réelle et concrète sera réalisé. Que sont devenues réellement les sommes promises ?
Quelles sont les conséquences des réformes : pôles de compétitivité, plan campus, plan licence, emplois et précarité ? Ensuite, il s'agira de définir un programme d'action, au niveau européen,
national et local. Le niveau européen, d'abord, car les élections européennes doivent permettre de redéfinir la politique conduite en matière de recherche. Il faut que le parlement européen se
saisisse de ce dossier dont il a été trop souvent écarté.
Ensuite le niveau national, dans la perspective d'une alternance politique indispensable. Il ne faut pas que l'absence d'une perspective d'alternative soit un frein pour les luttes actuelles. Le
niveau local enfin, car la gauche, majoritaire dans les conseils régionaux et généraux, peut y mettre en oeuvre une politique ambitieuse, sans toutefois se substituer à un Etat défaillant.
Quels seraient les objectifs de cette convention ? D'abord, redonner au savoir la place qui doit être la sienne dans une société moderne, ce qui suppose la liberté d'initiative scientifique des
chercheurs et des institutions d'enseignement supérieur et de recherche, dans le cadre des institutions nationales et locales, mais aussi élever le niveau de formation, en garantissant le cadre
national des diplômes, et faciliter l'accès à ceux-ci pour les étudiants en difficulté sociale.
Simultanément, redéfinir l'action de l'Etat en faveur de la recherche privée, prendre en compte la diversité des attentes de la société (santé, environnement, villes, etc.) et mettre en place un
débat permanent entre scientifiques et citoyens. Ensuite, favoriser la coopération entre les établissements de recherche et d'enseignement supérieur, entre leurs personnels, et réduire la
bureaucratie dont ils souffrent de plus en plus. Enfin, offrir les statuts qui permettent à la fois qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes, et qu'ils attirent la jeune génération, ce qui passe
par la réduction drastique de la précarité.
Depuis les états généraux de la recherche de 2004, les tentatives de lancer une nouvelle étape de réflexion ont échoué. Et pour cause : le gouvernement s'est moqué de ceux qui avaient conduit ce
travail, en prenant le contre-pied de leurs propositions. Dès lors, à quoi bon s'user à nouveau s'il n'y a pas de débouché politique ? C'est ce que le parti socialiste veut offrir aujourd'hui :
un débouché à la réflexion collective, qui se traduira par une action au niveau des parlements européen et français, et des collectivités territoriales qu'il dirige avec ses partenaires. Et un
programme ambitieux pour la recherche et les universités, dans la perspective des prochaines élections qui devront conduire au pouvoir une équipe tournée vers notre avenir collectif.
Bertrand Monthubert, mathématicien, secrétaire national du PS à l'enseignement supérieur et à la recherche
La Tribune.fr
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