Pourquoi est-ce qu'à un moment de l'histoire de Rapa Nui des centaines de statues (les moai) se sont retrouvées au sol ? Pourquoi la carrière dans le volcan, là où on sculptait les statues, a-t-elle brusquement été abandonnée, laissant des dizaines de statues géantes en l’état, souvent inachevées ?
Le résultat de longues fouilles, menées sur place pendant huit ans par une équipe belge du musée d’art et d’histoire menée par le professeur Nicolas Cauwe, a permis de revoir toutes les hypothèses en cours – notamment celles de guerres interethiques - et d’en formuler d’autres.
Nicolas Cauwe et son équipe ont ainsi remarqué que les statues couchées l’étaient consciencieusement, délicatement. Elles sont bien rangées, à côté des autels, faces contre terre, déposées sur des lits de pierres, sans endommager leurs faces et leurs nez. Loin d’avoir été abattues, il s’agit d’un enterrement rituel de ces statues.
Quant aux statues laissées sur les flancs du volcan, elles sont plus gigantesques encore qu’on ne le croyait, car elles sont aux trois-quarts, enfouies dans le sol. Elles sont par essence intransportables et n’ont jamais été sculptées pour bouger de leur place. Il est donc faux de croire qu’elles ont été abandonnées précipitamment avant d’avoir pu être déplacées sur les autels."Ces statues étaient destinées, explique Nicolas Cauwe, à transformer le volcan lui-même en un lieu de culte et ne devaient nullement être déplacées. C’était d’ailleurs impossible. Il s’agit d’une humanisation des falaises plus que d’un désir de tailler des statues détachables et transportables. L’enfouissement volontaire des géants dressés dans et à l’entour du volcan, achève de convaincre du désir de les laisser sur leur lieu de fabrication."
Au même moment où les grandes statues des ancêtres sont couchées ou sculptées pour rester sur les flancs du volcan, apparaissent des représentations d’un dieu, Makemake, sous la forme d’un visage vu de face ou sous la forme de l’Homme-oiseau. Ce dieu n’est représenté que par ses seuls yeux.
L’hypothèse avancée par Nicolas Cauwe et son équipe est alors la suivante : il fallait à un moment, mettre de côté les ancêtres et céder la place aux dieux. Les statues des ancêtres ont été ensevelies délicatement, faces contre terre, pour ne plus voir les hommes. Et les 300 statues colossales des flancs du volcan, avec leurs yeux fermés et de longues oreilles, étaient un ultime hommage aux ancêtres.
Et pourquoi les Pascuans auraient-ils abandonné le culte de leurs ancêtres pour se tourner vers le dieu Makemake ? Sans doute, la dégradation de l’environnement et la crise écologique ont-elles effectivement rendu la vie plus difficile. Le culte des ancêtres devenait contre-productif, car l’ancêtre n’aidait que sa famille et pas la population dans son ensemble. Alors que Makemake, comme tous les dieux, transcende les lignages pour imposer sa volonté à tous. "Si une gestion globale de l’île, poursuit Nicolas Cauwe, fut à un moment donné nécessaire, les ancêtres ne pouvaient pas y répondre, alors que les dieux étaient aptes à y parvenir."